Y a-t-il un au-delà ?
5 Janvier 2019
Une pluie fine mouillait le paysage jusqu’à l’horizon triste et fermé. Le corbillard prit l’allée centrale, il était temps d’y aller. C’était sinistre, cette immensité sans herbe, sans limites, sous ce ciel gris, avec ces buttes de terre que la pluie tassait, ces pelles ici et là, ces brouettes… Ce spectacle était désolant. Un cauchemar de descendre l’allée du cimetière, je n’aime pas les cimetières, je les déteste, et pourtant, je me tiens devant cette tombe, devant ce cercueil qui descend lentement en terre au fur et à mesure que ces hommes en noir relâchent la corde qu’ils assurent avec précaution. Je suis là, parce que c’est mon ami que l’on enterre, une vague nostalgique m’emporte et me bouleverse, à 93 ans, il nous a quittés, tout était fini. Certains me diront qu’il a bien vécu, je le sais pertinemment, mais je ne peux oublier chaque moment de la vie à ses côtés. Je dois beaucoup à cet ami, mon second père qui avait le même prénom que mon père: “Jean”. En 2006, quand je l’ai connu, il avait 80 ans, il m’a raconté un jour l’histoire de la terre, du monde, comment tout a commencé. Le passé et l’avenir n’existaient pas, me disait-il. C’était avant la grande explosion. Celle qui engendra la matière, l’espace et le temps. Dans nombre d’encyclopédies, on peut lire que l’histoire de notre Univers a commencé il y a quinze milliards d’années. C’est aussi l’âge des étoiles les plus anciennes.
— Pourquoi l’Univers est-il là? Nous ne le savons pas.
— Pourquoi la vie est-elle là? Nous ne le savons pas.
— Pourquoi sommes-nous là? Nous n’en savons rien ou presque.
— Quelle est notre mission, s’il y en a une? Existe-t-elle par rapport à nous, par rapport à la Terre, par rapport aux astres de l’Univers?
Encore une fois, selon beaucoup, c’est par hasard que l’Univers est un jour advenu.
Mon ami me racontait qu’Albert Einstein disait que Mozart ne faisait que traduire les notes qui venaient de l’espace, qu’il était bien incapable de comprendre cette beauté qui passait en lui, encore moins l’expliquer. Lorsqu’on médite dans le silence, il y a des choses qui nous viennent qui sont de l’ordre de cette musique, de cette grâce. Je lui dois beaucoup par ses connaissances, sa culture, ses qualités, son humour, sa joie de vivre, le bonheur de ses mots, sa musique, cette amitié profonde et cette délicatesse subtile. Cet homme était pétri d’humanité, pieux, intègre, il respirait la sincérité. Nous étions chaleureusement invités à partager avec lui des mets raffinés.
Jean était un épicurien, il adorait la bonne chère et appréciait les grands crus. J’ai toujours eu un profond respect envers lui pour la fierté que je tire de son amitié sans faille. Il avait de multiples qualités: jardinier, cuisinier, menuisier, musicien, même couturier, il cousait certains vêtements et reprisait aussi ses chaussettes. Il était passionné d’art, du monde animal, de littérature, de sciences, d’histoire et d’astronomie.
Son âme était profonde, il était d’une nature très pudique et avait une sensibilité à fleur de peau. Il dévorait des livres d’astronomie et de physique qui le passionnaient de plus en plus. Il ne concevait pas un seul instant de devoir cesser de se documenter dans ces lectures qui le rapprochaient d’une meilleure compréhension de l’Homme, de la Terre et du Ciel. Il m’a beaucoup appris dans différents domaines, j’étais passionnée par ses récits, impressionnée par son savoir, on apprend soi-même, mais beaucoup avec les autres.
En 2009, Jean a fait un arrêt cardiaque. Il m’a raconté: “Je suis sorti de mon corps. J’étais figé au plafond et j’ai tout vu; j’ai assisté à tous les détails de ma réanimation. Je voulais hurler aux personnes qui tentaient de me faire revenir à la vie, de me laisser tranquille, de me laisser partir, mais ils ne pouvaient pas m’entendre. J’étais formidablement bien et je n’avais pas du tout le désir de revenir dans mon corps. Je suis ensuite passé dans un long tunnel. Je baignais dans une lumière d’amour inconditionnel et mon bonheur était d’une puissance indicible. J’ai revu toute ma vie dans ses moindres détails et en accéléré. J’ai ressenti le bien et le mal que j’avais fait aux autres. J’ai rencontré un être de lumière d’une bonté infinie qui m’a demandé ce que j’avais fait de ma vie et ce que j’avais fait pour les autres. Les papillons blancs qui sont sortis de ma bouche étaient magnifiques. Mes parents décédés sont venus m’accueillir, ils me tendaient les bras, mais je ne pouvais malheureusement pas rester avec eux, alors que je le souhaitais ardemment. Au moment où j’ai réintégré mon corps, toutes mes douleurs terrestres sont revenues et j’étais terriblement triste de quitter cette merveilleuse lumière. Je suis maintenant très heureux, car je sais qu’il y a une vie après la mort et qu’un jour je serai de nouveau dans cette lumière d’amour. Je sais aussi que, sur cette terre, le plus important est de savoir aimer et aider les autres. Cette expérience a bouleversé ma vie. Plus rien ne sera jamais comme avant.”J’étais troublée.
Si ce n’est aujourd’hui, un jour vous vous retrouverez au chevet d’une personne qui vous est chère et vous échangerez avec elle une dernière conversation qui vous invitera à pénétrer dans un espace singulier, un espace qui se trouve entre la vie et la mort.
Vous entendrez alors peut-être des mots qui parlent de pardon ou de réconciliation, ou de dernières volontés. Mais il est possible que vous entendiez aussi des propositions étranges qui pourraient vous déconcerter.
En 2017, j’ai vécu la mort lente de mon ami Jean contaminé par l’Alzheimer. À partir de là, j’ai eu besoin de comprendre. Avant cela, les sujets qualifiés de “surnaturels”n’étaient pour moi pas très sérieux. Pour moi, il n’y avait rien après la mort, c’était le néant. Mais cela ne me perturbait pas plus que cela. C’était ainsi. Mon avis sur les religions? Des créations de l’être humain pour contrôler et asservir d’autres êtres humains, jusqu’à les tuer au nom d’un prétendu Dieu dont on n’avait jamais apporté la preuve de l’existence.
Puis j’ai découvert des témoignages troublants, des livres, et surtout des travaux de chercheurs sur les expériences de mort imminente (EMI), notamment. En enquêtant, j’ai commencé à prendre conscience d’une chose, c’est que la mort ne repose sur aucune preuve. Mon ami ressemblait de plus en plus à Charles Aznavour en vieillissant, c’était le même gabarit petit, leste et mince. Il pouvait jouer de la musique et chanter pendant des heures entières sans se lasser. Il me disait toujours qu’il allait devenir centenaire. Mais la vie en a décidé autrement. C’est la maladie qui l’a rendu mauvais, le fait de n’avoir plus rien à faire, plus rien à espérer, sauf prier Dieu, entendre des voix, et se savoir attendu quelque part dans cet Univers si vaste. Qu’on ne s’avise pas de parler de foi ou de croyance: la foi n’a rien à voir là-dedans.
Il peut s’agir parfois d’intuitions, de ressentis difficiles à mettre en mots, comme lorsque j’ai à plusieurs reprises senti la présence de mon ami Jean lors de mes entretiens avec les médiums.
Avant son départ, j’ai retenu ces quelques phrases: “je ne suis plus utile dans ce monde. J’ai envie de silence. Je ne veux plus souffrir et être un poids. Le Seigneur m’attend, je le sais, je vais aller vers lui en toute sérénité et je vais faire confiance à cette nouvelle vie porteuse de miracles. Grâce à Dieu et à son aide, je vais les accomplir un par un”.
Ce n’était plus celui qui faisait résonner la maison de son rire, de ses chansons, en jouant de l’accordéon. Il ne parlait plus que de sa mère et de son jardin. Un souvenir émergeait, un autre suivait. Il me disait que sa mère adorait les fleurs et surtout les roses, elle les contemplait chaque jour, elle leur apportait un soin jaloux.
Il s’en souvenait, il savait que les fleurs du jardin et les roses continuaient à fleurir chaque année, toujours aussi belles. Il me disait: “J’étais dans le jardin près des buissons de roses, et je la voyais, elle, Marguerite avec son chapeau de paille, ses gants de jardinage et sa belle robe blanche fleurie”.
C’était souvent les mêmes anecdotes qui revenaient. Parfois il protestait, agacé par ses trous de mémoire qui étaient de vastes gouffres où sombrait le passé. Il avait cette usure du corps, manifeste, qui pourtant sauvegardait un reste de prestance, un souvenir de dignité. Ses mains usées et tachées par le temps avaient des veines transparentes sous une peau sèche et amincie. Ses yeux bleus vitreux étaient noyés de pleurs figés, qui ne roulaient plus le long de ses joues pâles. Sa dépendance était sans espoir et sa lumière s’amenuisait.
La plupart des gens qui témoignent après une expérience de mort imminente rapportent un sentiment d’auto-jugement bienveillant.
Avec cette question, récurrente: qu’as-tu fait pour les autres durant ta vie?
Lorsqu’il est décédé, j’ai placé son chapelet sur sa poitrine. Je n’en ai parlé à personne. Puis j’ai interrogé des médiums qui disent communiquer avec les morts. Possibilité d’une vie après la mort! Si les plus sceptiques ne sont pas forcément convaincus, il est indéniable que certains de ces entretiens menés avec les médiums sont pour le moins troublants. Prouvant un besoin d’appétence pour l’ésotérisme, la médiumnité et la recherche sur une possible persistance de la conscience après la mort. Si ces questions ont de tout temps passionné les foules, leur approche actuelle présente la singularité de reposer sur une démarche se revendiquant comme scientifique.
Certains médiums m’ont livré des informations sur Jean, j’ai perçu une présence vivante et joyeuse qui sortait de son corps. C’était d’une puissance et d’une force impossibles à décrire, une vision onirique. Nous ne sommes pas seulement un corps.
Depuis que j’ai entrepris mes recherches et au fur et à mesure de mes découvertes, ma façon de vivre a énormément changé. Je n’ai pas de certitude, mais dans le doute je m’efforce de vivre dans le sens de ce que je veux être, de ne pas me laisser aller à remettre au lendemain ce que je peux faire aujourd’hui, d’être claire avec moi-même. C’est très doux et rassurant de croire à la présence de nos chers disparus: toutefois, pour peu que nous y réfléchissions, force nous est d’admettre que nous venons de loin.
Chacun de nous est héritier d’une longue lignée, faite de générations qu’il ne connaît pas, et chacun a été déterminé par des liens de sang inextricables qu’il n’avait pas choisis. Rien n’impliquait que nous puissions avoir l’envie et la capacité d’être là ensemble, de trouver un sens quelconque à ce simple fait d’être ensemble, en ce lieu.
N’est-il pas vrai que nous sommes perdus au cœur d’un Univers énigmatique où règne le pur hasard?
Depuis que Jean n’est plus, je ne me sens pas illuminée, je ne fais aucun prosélytisme et je ne rattache cela à aucun dogme religieux, mais j’ai mes anges gardiens, je suis certaine de leur présence autour de moi, j’entends parfois qu’ils s’adressent à moi. C’est très furtif, très subtil et cela rend ma vie plus légère.
Alors, pourquoi m’en priver?
Adieu mon ami! Adieu ton jardin en ta présence! Adieu ta couverture où nous prenions le soleil! Et vous ses figuiers! Ses tilleuls! Ses kiwis! Ses chrysanthèmes! Ses belles tomates odorantes et charnues! Quand viendra l’été, n’oubliez pas de vous couvrir de verdure et de fleurs de haut en bas. Et que ceux qui vivent après lui viennent joyeusement s’étendre sur l’herbe fraîche, aux ombres odoriférantes, au murmure des feuilles légèrement agitées par le vent! Adieu Jean! Adieu pour toujours, ta vie s’est éteinte.
Cet Hommage que je rends à mon ami aux frontières de l’Au-delà est finalement un hymne des plus merveilleux qui soit à la vie! À travers cette expérience, c’est un puissant message humaniste que je vous transmets et qui nous réconcilie les uns avec les autres et finalement avec nous-mêmes. Il nous donne vraiment envie d’aimer et de nous dépasser, de changer notre regard sur la mort et donc sur la vie.
Après la mort de Jean, mon carnet était rempli de mots et de phrases qui me fascinaient et me troublaient. Il contenait des métaphores et des non-sens, des propos si différents du langage lucide qu’il employait généralement, du temps où il était en bonne santé. En parcourant les pages, j’ai remarqué la façon dont les phrases reflétaient un continuum complet, partant d’un langage littéral, puis figuratif, pour finalement devenir inintelligible.
Je me suis demandé si ce continuum était commun à tous et s’il ne suivait pas, d’une certaine manière, le cheminement de la conscience lorsque nous sommes en train de mourir.
Comment?
Ce qui est certain, c’est que Jean est arrivé là-bas, il ne souffre plus. Dieu l’a accueilli. Mais y en a-t-il un?