Une ancienne gloire
C’est un auteur qui a eu son importance, à vrai dire étroitement circonscrite dans le temps, et qui ne s’est jamais remis d’être à ce point passé de mode.
Pourtant, dans son nouvel opus, il a tenté de changer de registre, de se renouveler même: mais c’était peine perdue. Peu importe que la démarche était ou non sincère: c’était en vain. L’originalité dont, pour cette fois, il a voulu faire montre a inévitablement fait long feu — essentiellement parce qu’il n’a pas les moyens de ses ambitions, et aussi parce que, en s’emparant de thèmes qu’il ne comprend qu’à moitié (pour faire large), et en ne songeant qu’à les dénaturer et à en annihiler la portée, il a surtout fait montre d’une absence de scrupules qui rend son projet suspect puis caduc. L’auteur semble même se prévaloir de véhiculer des a priori et des à-peu-près à ce point reconnaissables qu’ils en viennent à désamorcer toute l’intrigue et à empêcher d’aller voir plus loin.
Bref, c’est toute la donne qui a changé, plutôt que lui.
Son roman, épais et sans véritable fil conducteur, qui témoigne d’une incompréhension totale des enjeux de l’époque, et singulièrement des relations entre la métropole et ses anciennes colonies désormais, qu’il le veuille ou non, affranchies, a pourtant, comme il fallait s’y attendre, été présenté par des journaux paresseux (à moins qu’ils ne soient, comme c’est plus probable, complaisants envers une coterie “vieille France” ayant depuis toujours pignon sur rue) comme un “événement considérable”, une expression passe-partout supposée masquer la vacuité et la fatuité du ratage. Selon une feuille plus critique (et sans doute moins encline aux formules toutes faites), ce qui est surtout “à considérer” est bien davantage le retour en grâce, sous couvert de péripéties diverses et de personnages d’un pittoresque douteux, de “vieilles recettes” et “d’idées rances”, piètres resucées de conceptions périmées, de vues délibérément aveugles et de descriptions tendant à la pétrification.
Bien entendu, l’auteur s’est insurgé contre de telles interprétations et a rameuté l’arrière-ban de ses soutiens pour dénoncer et se gausser des “illusions malsaines” de ses critiques et de “l’impérialisme culturel à l’envers” où, selon ses termes, “s’abîment” ses adversaires — qui pour leur part voyaient dans cette réaction une morgue déplacée et un refus à nouveau affirmé d’en finir avec une sorte d’“abus de position dominante”, dont des auteurs tel que celui-là ont constamment truffé leurs discours et commentaires à leur encontre depuis des décennies.
C’est donc peu de dire qu’il a été accueilli d’une manière, disons contrastée lors d’une conférence au sommet sur ces questions de dépendance envers la mère-patrie et des moyens de s’en détacher, qu’il a, selon ses termes, “daigné honorer de sa présence”, pour, assurait-il dans des entretiens préalables, “en découdre” — nul doute que l’accueil chahuté qu’on lui a réservé a dû le changer de son habituelle routine d’auteur “consacré”. On ne sait trop quelle était l’intention des organisateurs: mais ils ne pouvaient ignorer qu’ils le livreraient en quelque sorte à la désapprobation et même à la vindicte d’un nombreux public, si on en venait là.
En fait, tout bascula au détour du discours de l’un de ses opposants à la tribune; et ce qu’on retint surtout, c’est que, pour résoudre le conflit, très peu de paroles furent nécessaires.
À un moment, écoutant cette intervention où un auteur africain faisait pièce à la vision étroite et condescendante des représentants de la métropole, se figurant encore, y compris à cette tribune, qu’elle pouvait tout commander comme si de rien n’était, l’auteur fut soudain pris d’un fou rire inextinguible. On le vit secoué de spasmes et agité de sursauts incontrôlables, se cabrant nerveusement en levant les yeux au ciel, et ne cherchant aucunement à se maîtriser devant tant de témoins effarés — d’ailleurs, il redoubla d’hilarité quand on lui fit remarquer, de manière certes diplomatique, que son comportement laissait à désirer.
Ensuite, tout se passa très vite. À un geste déterminé de l’orateur, le bruit de fond, tendant vers la protestation, qui commençait à enfler dans l’assistance s’arrêta. L’homme se tourna vers l’auteur, qui continuait sans gêne son hilarité, pour lancer:
— C’est bien ce que je dis…
Et, désignant d’un mouvement ample l’assistance, il ajouta:
— C’est bien ce que nous disons.
Alors seulement, pour répondre à un signal qu’elle attendait impatiemment, toute l’assistance se mit à rire; et bientôt un fou rire inextinguible la secoua, supplantant aisément celui du ci-devant maître des lieux, qui dut se résoudre à battre en retraite et à partir, dégrisé et poursuivi par ces rires qui n’en finissaient pas et au contraire s’alimentaient et repartaient, comme s’ils rebondissaient d’un côté à l’autre de la salle.
Il faut noter, contrairement à ce qu’on a pu prétendre, qu’à aucun moment, la moindre huée ou le plus petit lazzi ne se fit entendre.