Tout miser sur le Z
Une violente dispute a éclaté autour d’une table familiale, dont les voisins accourus s’accordent à dire qu’elle est généralement paisible et ordonnée. Les premiers témoignages recueillis par des policiers plutôt incrédules en recoupant les phases successives des événements ont évoqué une partie qui aurait mal tourné, au point d’en venir aux mains et de dégénérer en pugilat, avec plusieurs joueurs blessés.
Tout a commencé quand l’un des participants a posé sur la table un certain mot, en l’énonçant d’une voix tonitruante. Aussitôt, celui qui avait été, avec l’assentiment de tous, désigné comme arbitre est intervenu, déclarant que, selon la mise à jour des règles par l’éditeur du jeu de société, il ne pouvait accorder de points à cette proposition, le mot en question (que la décence et la bienséance dissuadent de citer ici) étant jugé offensant et à caractère haineux. C’est à cet instant précis que les prémisses d’un déferlement de violence apparurent dans le salon d’ordinaire si tenu.
Le joueur lésé fit valoir que le mot en question était consacré par l’usage, tout en reconnaissant qu’il pouvait paraître « un peu » attentatoire à la dignité d’une catégorie définie de personnes : surtout, il s’insurgeait contre la perspective de ne pouvoir résorber son retard sur le meneur de la partie, puisque son Z, présent dans le mot incriminé et doté d’un maximum de points, ne serait pas comptabilisé.
Le maître du jeu s’en tint aux directives de la société éditrice, que du reste il approuvait. Alors, le mauvais joueur lui lâcha en pleine face un autre mot (tout aussi non reproductible ici) également issu de la liste des mots désormais retirés. Le ton monta, tous les joueurs se levèrent en même temps, la table se mit à balancer en tous sens et finalement le plateau et toutes les lettres qui y figuraient furent projetées dans les airs.
En définitive, aucune plainte n’a été déposée, et les frais médicaux occasionnés par les soins donnés aux uns et aux autres furent réglés en parts égales par les protagonistes. Les policiers, en les libérant, se contentèrent de leur conseiller d’attendre un certain temps avant de reprendre leurs joutes.
Devant ces faits, on ne peut s’empêcher de se demander si, lorsque les (encore plus) mauvais jours reviendront, on aura affaire à des réactions aussi virulentes quand seront retirés ou déclarés sans valeur des mots comme « révolte », « rébellion », le plus savant « common decency », voire « élections » ou « démocratie ».