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Portrait onirique de Jiddu Krishnamurti

Jiddu Krishnamurti, avec sa sagesse infinie, posa un regard bienveillant sur moi, comme s’il reconnaissait en moi un compagnon de voyage sur le chemin de la connaissance de soi. Nos échanges, bien que fugaces dans le temps, résonnèrent dans mon cœur longtemps après que le rêve eut pris fin, laissant derrière moi une empreinte indélébile d’inspiration et de compréhension. Un homme me regarde sans rien dire pendant de longues minutes puis sur un ton sarcastique: cela m’étonnerait beaucoup, Jiddu Krishnamurti n’avait pas un regard bienveillant, compagnon de voyage? C’était le cadet de ses soucis. Il était sévère, implacable, violent. Dans le rêve, ces mots sont prononcés par Jiddu Krishnamurti lui-même. Il se retourne lentement, tel un robot fou dessiné par le Maître et faisant partie du Codex Atlanticus, comme s’il avait entendu le cliquetis d’une machine à écrire Olivetti toute neuve, un battement d’aile d’un papillon jaune, une pensée. Puis il revient vers moi et me dit: ne vous préoccupez pas de savoir qui je suis, Patrick Lowie, vous ne le saurez jamais.

Nous sommes dans un immense jardin anglais, en Californie je crois, j’observe des vignobles, des Mexicains à genoux, des lignes blanches dans le ciel, les yeux de coquilles Saint-Jacques vivantes, j’entends l’ultime étreinte de deux écureuils-antilopes de San Joaquin avant de se faire trucider tous les deux par un chien balaise. C’est quand on se croit en sécurité qu’on risque le plus, dit un chasseur en riant, le rire identique à cette humanité dévoyée. Patrick Lowie, ce que vous me racontez à propos de ces toiles d’araignées en fibre qui envahissent le monde n’a rien d’étonnant. Rien n’a changé, rien ne changera jamais, l’homme mourra. Les philosophies d’hier céderont la place à de nouvelles théories, mais les problèmes fondamentaux de l’homme demeureront sans solution. Lorsque je parlais devant ces publics nombreux et multiples, pensez-vous vraiment qu’ils étaient assoiffés d’idéal? Combien d’entre eux ne sont-ils pas retournés à leurs occupations, combien n’ont-ils pas tué femmes et enfants, combien n’ont-ils pas rejoint l’armée? L’homme aime les malheurs du monde. Je vous ai observé, qu’avez-vous fait pour venir en aide à ces écureuils-antilopes? Vous avez observé l’horreur et vous n’avez pas bougé. Vous dites juste que cela vous répugne, vous avez même fait une photo je crois, vous allez la publier, écrire un beau mot ou vous plaindre des chasseurs, and so what? Vous avez l’impression d’être un activiste? De sauver le monde? Pour l’amour du ciel! L’ego, l’ego, l’ego, rien que l’ego! Putaclic! De quoi Lowie est-il vraiment le nom?

Perdu dans un tourbillon d’émotions intenses et contradictoires, je me retrouve confronté à une vérité brutale et inattendue, énoncée avec une franchise désarmante par l’ombre d’un Krishnamurti que j’avais imaginé plus agréable et tendre à mon égard. Les mots résonnent comme un écho sonore troublant dans mon esprit, remettant en question mes convictions les plus profondes, intimes et mettant à nu les failles de mon propre être. Il me fixe dans les yeux, attend une réponse, scanne mon visage, tente d’interpréter mes sentiments. Face à l’accusation implacable de celui que j’ai tant admiré et idéalisé, je me sens désemparé, mes certitudes ébranlées par la dure réalité des mots prononcés. J’ai cru agir avec bonne intention, mais maintenant, je me sens exposé, vulnérable devant le regard impitoyable de mon interlocuteur noyé dans les méandres d’un cauchemar qui me coûtera cher au réveil.

La scène autour de nous semble se dissoudre, les vignobles et les écureuils-antilopes s’évanouissant dans un tourbillon de confusion. Je me retrouve seul, confronté à ma propre conscience, tandis que les paroles de l’homme à l’image de Krishna résonnent encore dans le vide de mon esprit. Quelqu’un frappe sur les parois de mon crâne. J’entends ses mots: cessez avec cette idée de subtile constance, les fous aussi font preuve de constance! Dans cet instant de vérité brute, je me retrouve confronté à une question essentielle: qui suis-je vraiment, derrière le voile des illusions et des aspirations? Et quelle sera ma réponse à l’appel à l’action lancé par l’ombre de Jiddu Krishnamurti? Perdu dans mes pensées tourmentées, je sens le poids énorme de mon propre ego peser lourdement sur mes épaules, une charge que je devrai désormais porter avec une conscience renouvelée de mes propres limites et de mes responsabilités envers le monde qui m’entoure. Le décor est différent, tout se forme, se déforme encore un peu. Une armée de marionnettes traverse le jardin anglais, pieds nus et à reculons. Il se lève, s’approche de moi et me lance: je vous ai bouleversé cher ami, c’était mon intention, allons prendre un bon vieux Porto à la santé d’un monde qui vacille depuis si longtemps, depuis des millénaires, peut-être depuis sa création. Ce que je vous demande c’est d’ouvrir votre esprit, pas de croire. Parce que je sais ce que vous vivez: l’incompréhension du monde. Si vous le voulez bien, je vous propose de reprendre tout depuis le début. Il sert le vin de Porto dans de minuscules verres, je n’ose lui dire que j’ai soif et qu’une bière aurait été plus appropriée vu la chaleur qui sévit dans la région depuis le début du rêve. Votre mère vous a éduqué avec une seule image en tête, celle du Christ. Vous deviez représenter la perfection mais elle a oublié que la mère du Christ a vu son fils mourir devant elle. Vous avez vécu dans une pensée dramatique noyée dans un liquide amniotique… toute votre vie. Si vous ne vous réveillez pas maintenant, je crains que tous vos espoirs soient vains.

Au même moment, je vois apparaître dans la pièce, un JIddu Krishnamurti très jeune, étudiant encore, jeune homme discret au regard fascinant, à l’allure leste et glissante, à l’élégance séduisante. Un jeune homme vigoureux et réfractaire à l’énergie bleue. D’une virilité presque débonnaire et surtout vertueuse. D’une vertu anachronique. Corps semi-viril aux mouvements gracieux et nonchalants. Bras et doigts longs à l’infini pour ne rien perdre de sa traction ouateuse et de sa perception éclairée du monde. On pourrait même parler de sa perception originale et douloureuse. Un discernement atypique de l’univers vu l’immense territoire céleste que recouvre ses intuitions chamarrées. Un jeune homme sévère aux yeux sombres et profondément mystérieux. Son regard quand il vous croise dégage une impression de force placide mais aussi d’autorité voire de puissance innée. Un regard oblique utile pour l’induction hypnotique et surtout jamais dépourvu de magnétisme ou d’attraction violente. Car quand il vous a choisi, Jiddu Krishnamurti vous attire dans son territoire impénétrable comme une étoile étincelante peut vous engourdir par son rayonnement magnétique intense. Il n’a pas encore dix-neuf ans et le bilan de ses premières années est parsemé d’actes avant tout réalistes et pratiques. C’est une étoile étincelante allongée et brillante qui a les pieds sur terre parfois enracinés et qui possède une forte énergie régénératrice lui permettant de concrétiser ses rêves. Sauf que le jeune Jiddu a trop souvent des songes improbables et légers qui le poussent à ne jamais passer à l’acte. Tout en lui est lié imperceptiblement par un code-barre noir sur blanc qu’il a lui-même conçu et baptisé sans rire: le code M.2. Ils déposent tous les deux le verre de Porto et celui que je crois être le vrai Jiddu Krishnamurti me dit: vous voyez ce jeune homme n’est-ce pas? Vous pensez que c’est moi, et pourtant c’est vous. Vous venez de vous décrire. C’est la peur qui pousse à masquer ce qui est. Libérez-vous de cette peur idiote, vous ne serez pas crucifié!

Portrait onirique de Jiddu Krishnamurti

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