Poker dément
Le coup était parti, il fallait donc qu’il atteigne sa cible.
Les joueurs de sa garde rapprochée (qui se nommaient entre eux “le cercle fermé”) avaient été consultés, mais la décision finale lui appartenait. M. se mit donc en tête d’organiser au débotté, sur le pouce pour ainsi dire un tournoi, en chargeant son secrétariat de lancer les invitations. Les parties sollicitées s’accordèrent sur un rendez-vous le dernier jour du mois de juin pour entamer les séries qualificatives, puis de poursuivre la joute au finish — on supposait que, comme dans les grandes compétitions de poker, cela durerait donc au moins jusqu’au premier dimanche de juillet.
C’était un sacré pari, mais M. s’était résolu à le relever. C’était sa nature, et en cela il ressemblait à un homme d’affaires ou à un homme politique en perte de vitesse, mais qui veut reprendre la main en tentant un coup, un passage en force. C’est toujours une tentation, presque un beau vertige, que de remettre par surprise son titre en jeu, pour récupérer d’un seul coup une mise décuplée, destinée à se renflouer pour quelques années de plus. Mais cette fois, c’était d’autant plus risqué qu’une défaite, si normalement elle ne mettrait pas en balance son mandat, écornerait sensiblement son prestige personnel, surtout à l’approche de l’immense événement qu’il s’apprêtait à présider, et encore plus celui de son business, à la direction de laquelle il devrait faire de la place à des incapables et devoir les supporter, eux et leurs lazzis, jusqu’au terme de son magistère.
Simultanément, s’il s’agissait de démontrer que son initiative n’était pas due à une réaction de panique, c’était vraiment mal parti. Car M. avait cru bon de répondre au défi d’un jeune freluquet, enivré par ses succès récents et dont la réputation montait, alors qu’il n’avait en réalité pas encore prouvé grand-chose. “Rebattre les cartes”, certes: mais quoi si elles sont toutes mauvaises — et pas seulement les siennes? De sorte qu’on finissait par se demander si M., quand d’aventure il en avait eu de bonnes, avait su bien jouer celles-ci: pour finir par se dire que, après tout, il ne savait pas vraiment jouer, même nanti des cartes les plus favorables.
Comme de coutume, les joueurs, avant d’arriver à la table, s’envoyèrent des messages peu amènes, tandis que leurs entourages s’occupaient de régler à fleurets mouchetés les détails des rencontres programmées — dimensions de la table, hauteur des chaises, répartition des places. Et l’on observa ceci: déjà pendant la préparation de la procédure qu’il avait lui-même déclenchée, M. disait, dans les rares confidences qu’il distillait à une partie seulement de ses proches, qu’il n’y a rien de pire, pour un joueur de poker, de ne plus pouvoir annoncer qu’il fait tapis sans se voir aussitôt moqué et s’attirer les quolibets de ses voisins de table. Et ses interlocuteurs perplexes de baisser la tête…
La suite ne fit que confirmer cette première nette impression. Les joueurs adverses guettaient tous les signes venant de celui qui était censé contrôler de main de maître la partie; et ils virent clair.
Dès le début de la première manche, tout le monde nota sa pâleur. M. avait compris qu’il ne pouvait plus compter que sur la chance pour s’en tirer. Prétextant la nécessité de se rafraîchir, il quitta le jeu et s’isola un moment dans une pièce éloignée. Naturellement, sa retraite se prolongea plus qu’il ne fallait.
Quand il sortit enfin, les autres, sourire aux lèvres, virent bien que Macron n’en menait pas large. Il s’éclipsa sans attendre, et sans préciser s’il reviendrait.