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Peuple des nuques pliées

Je nous vois peuple des nuques pliées je nous vois je nous fais cibles de nos propres yeux, je nous vois en nos mondes, ici, là et là, ici en quelconque seconde où glisse l’index, souvent l’index parfois le majeur quand fatigue le doigt inquisiteur, qui désigne dessine décide de ce qu’il y a à exister, rien ne doit trop durer trop dire, rien ne doit être hors d’atteinte de nos brins de chair et hors cadre de l’épure de nos cous tracés vers terre, peuple peuple, peuple de nos mondes repliés et si vastes dans nos abysses, nos vertèbres sont autant de colonnes de nos palais d’ombres, je nous vois défiler faire défiler arrêter stopper reprendre retrouver au hasard des déambulations de nos oublis les récits de nos miroirs je nous vois peuple, peuple des cous pliés et des corps figés, nous rions seuls nous parlons seuls nous pensons seuls mais nous nous savons ensemble de ces solitudes qui nous relient, ces accords silencieux qui plaisent à nos souffles suspendus et à nos sens concentrés à nous aimer, à nous entraimer, à nous railler et à nous entrerayer, à nous succomber à nos rêves d’empire à fonder, où nous serons meilleurs que nous-mêmes, meilleurs que nos nuques dressées qui adoubent les prédateurs dans le fracas de ce réel qui nous tue, mais nous le tuons ce réel où trop de guerres nous tuent, où trop de famines nous tuent, où trop de désastres nous surviennent au réveil, quand le soleil, le nôtre, éternel décor de nos écrans, se levant ou se couchant, désobéit à nos désirs de carte postale et éclaire l’évidence, ces nouvelles luisantes qui déchiquètent nos illusions et ces armes ces armes mon dieu, brillantes, qui découpent nos innocences, ces rires qui rappellent ces noms étranges qu’instinctivement nous reconnaissons dans leurs déflagrations, tel nous reconnaissons le hurlement de ce loup devant qui nous ne nous sommes jamais retrouvés, tel nous ne nous pardonnons pas de bien visualiser ces cratères dans nos consciences, dien ben pou, prends le dictionnaire et, Diên Biên Phu casse-toi de ma mémoire, Austerlitz que nous ne situons nulle autre part qu’à la gare, tant de cadavres gémissent encore, nous achevons les derniers vestiges du su et du lu, tremble tremble, tremblika, comment on t’écrit auschwitz, où le génocide ne se déroule pas les yeux fermés et la bouche cousue de rage lâche, movie sade, prends de même le dictionnaire ou google-toi ce n’est ni movie ni sade de son marquis, nous pouvons ici ne pas avoir honte dans le secret de nos bonnes consciences, Novi Sad, s’en tape, s’en rappelle quoi de ça, qui ô peuple de nos nuques penchées, qui de nous pour qui la loi s’alimente dans le ventre de nos éphémères se nourrit de sa part d’histoire afin qu’à son tour ne le dévore pas la brute loi des vouloirs primaires, je nous vois sans mémoire sans mémoire ô mémoire, ne manque pas stp ne manque pas comment, sans, me suffirais-je aujourd’hui, comment me selfirais-je parmi cette foultitude de mes clones ma communauté ma famille mes amis mes réseaux, oui bien sûr sociaux, ce nous où je est central, ce je où nous se partage, nos idées nos idéaux nous sauverons ce monde nous nous sauverons de ce monde, où nos mots viendront au bout des maux, ces maux des autres jamais les nôtres les autres sont autres à qui nous offrons nos beautés et nos harmonies, nos univers que nous aurons déclos, venez veines ouvertes ou déveines divines nous consolerons, nous réparerons car là où nos voix ne seront pas dévoyés à la guerre, nos images forgeront demain, demain forgé sans feu ô peuple de paix peuple d’espérance, la guerre se mène nous ne l’ignorons que le cœur garroté contre ceux qui nous fournissent larmes et exhibitions, la guerre se déroule sur le champ des mots et des images, je dis muettement je dis je dis, je distords à cri crevé qu’ils ne crèvent pas ceux qui au Congo, et autres, terres ailleurs, terres, grattent la terre et les minerais, je ne les vois pas je ne vois pas à quoi ces gueux font référence en déposant leurs regards dans la paume de  nos mains je clape je relève les paupières sur mon train à quai, avec mes semblables qui embarquent comme m’embarque cette journée où nous nous compterons nous regardant, où nous nous pèserons nous manquant à l’appel, nous nous renvoyant nos conversations solitaires comme d’un jet d’enchevêtrements sidéraux, dans la maille de nos satisfactions d’avoir été entendus, seulement entendus, là dans cet infini de nous, seulement cela, en nous, temps dû, en temps voulu, en tant que voulus, en tant que dû de ces gouffres de bonheur qu’on nous demande de creuser jour après jour, mais quel jour sur quel moment, la lucidité crache le soleil, nous n’en voulons pas de l’éblouissement, de ces valeurs qu’on nous ressasse travail consommation travail, et soi à ériger, nous, être non plus, naître, nous n’avons pas à nous réinventer, tout est disponible déjà à paraître, vivants mais non, plus rien à vivre, l’autre suffit sur qui calquer nos souvenirs, ces souvenirs n’ont de souvenirs que nos désirs qui béent aux commentaires, ces traces et polémiques indispensables dans la craquelure de l’existence, et passer, passer sur soi, passer sans rien fouler de soi, les idées glissantes comme rigoles s’en vont dans l’harmonie de l’oubli ô peuple, je te l’interdis, de savoir que passer ne peut être sans idée, car la traversée ne se fait que de soi, corps mouvant, nos sens frayant le chemin, sous l’orbe de l’aveuglement et des coups que nous avons à préférer ignorés, niés, déniés,  je passe, il me faut m’asseoir à mon siège désigné, comme l’élu numéroté que je suis, ce siège est mon trône, je m’assois, je ne veux pas de voisin, lui non plus, on se comprend, on ne se parle pas, on ne se salue pas, je ne désire nul compagnon ni compagne ni genré de voyage, d’aucuns s’oublient, qui parlent, les idées ne se larguent pas sans danger                       passe! mais souviens-toi du cercle, l’on ne fait que revenir, il va falloir ramasser les idées délaissées, je me tais, d’aucuns s’oublient, nous savons que réfléchir écroule l’édifice, que l’irritation accouche du soleil, ce soleil est en nous et ne demande qu’à émerger des profondeurs de nos peaux, il faut attendre, il faut attendre, temps après temps pour nous enrober, robe de la caillasse des vies pétasses, leurs vifs des frottements et des mouvements qui œuvrent à agir ô peuple des nuques pliées, que la peau devienne écorce qui empêche la sève de suppurer, tu reconnaîtras toujours la silhouette de cette femme berçant son enfant, bombes, et sanglants des visages semblant réels, Gaza, c’est loin, mais le Soudan, c’est loin, mais l’Ukraine, trop proches culpabilisants, je m’insurge, je poste je like, non sans moi, peut-être que si, sans moi, pas en mon nom, nous la reconnaissons cette femme qui materne douloureuse le vide entre ses bras, berçant nos troubles, les falaises de l’enfantement, il va falloir remercier le rejeton et tanguer dans les ténèbres, le train croise un autre, le soleil coud mais ne cicatrise pas, écoute peuple des nuques pliées celle qui s’est tenue sur cette falaise et qui a relâché son étreinte, ouvert ses bras, les ailes n’envolent pas toujours, bombes, mais elle sait que l’une des cases est blanche, toujours, s’y écrivent la vie et la pulsion. La sécurité vient l’alpaguer. Il est strictement interdit de mendier dans les voitures. Nous savons ô peuple des nuques pliées qu’elle sera débarquée à la prochaine station. Bombes. 

La lumière s’irise. Nacre. Un soleil est gardé irisé. 


Peuple des nuques pliées

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Madagascar
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