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Oxselles-la-Ferrière

Oxselles-la-Ferrière s’illustrait comme une des dix-neuf communes de la capitale. Son nom provenait curieusement du vieil anglais oxa qui veut dire bœuf, et du latin ferrarius signifiant fer, car la région en comptait de nombreux gisements. Au cinquième siècle, un moine ermite itinérant irlandais, Patrick Whallis, qui voyageait sur un chariot tiré par deux bouvillons, s’arrêta dans cet endroit vallonné qui ne comptait alors que quelques dizaines d’habitants. Il les convertit très aisément au christianisme en leur faisant entrevoir le supplice éternel de l’enfer. Ils se confessèrent, se sentant tous coupables, et cette confession, l’ermite le savait bien, était le signe tangible d’une conversion intérieure. Leurs péchés déclarés, Patrick Whallis estima qu’il avait réussi sa mission de fils envoyé par le très haut pour sauver les âmes des hommes et ce, en dépit des quelques rares réfractaires qu’il harcèlerait. La perspective du salut de l’humanité entière, d’autres que lui s’en chargeraient, car, se trouvant bien en cette contrée paisible et fort du respect que lui témoignait la population, il ne quitta plus ce hameau de Ferrière qui comptait, outre des forgerons, un cabaretier et de nombreux paysans et paysannes. Ceux-ci l’appelèrent Patrick le Vénérable, ce qui leur paraissait mieux que Patrick le paresseux, afin d’obtenir ses bonnes grâces et son indulgence, car aller à confesse on voulait bien mais pas en été à cause des récoltes ni en hiver quand il faisait trop froid.

Oxselles-La-Ferrière traversa les siècles, les gisements de fer se tarirent et furent remplacés par une activité intense de pêche, les étangs du village regorgeant de poissons. Puis on assécha les marécages, le village devint ville et autour des étangs fleurirent d’innombrables brasseries produisant les meilleures bières du royaume. Certains venaient de loin pour en apprécier la robe, le bouquet et le goût.

Le monde changeait, et si vite, grâce et à cause de l’industrialisation. Le vingtième siècle fut sans pitié pour la nature et pour les hommes, deux guerres mondiales et des dizaines de millions de morts. Oxselles aussi paya son tribut, beaucoup d’Oxsellois moururent au combat. Puis ce fut l’an deux mille qui nourrit toutes les craintes et tous les espoirs, suivi vingt ans plus tard par la grande pandémie et une guerre russe de reconquête des territoires perdus aux frontières de l’Occident. On brandissait l’arme nucléaire et tous connaissaient la phrase d’Einstein : « Le fond de l’humanité reste, dans son ensemble, immuable, avec ses passions ataviques et son égoïsme borné », ce qui avait conduit les hommes à épuiser les ressources terrestres et à s’entretuer.


C’est dans ce contexte qu’en l’an deux mille vingt-deux, Andrea, qui n’en pouvait plus d’entendre à la radio des mauvaises nouvelles, quitta les ondes de la DAB, appuya sur la touche CD de sa télécommande et glissa dans la fente de sa mini-chaîne un best off de Suzanne Vega. Andrea habitait sous un toit au troisième étage d’une maison transformée en immeuble à appartements. Il y faisait très froid l’hiver et horriblement chaud en été. Il avait rêvé, oui, il y a fort longtemps, d’une fermette rustique et jolie dans la belle campagne et entourée d’un grand jardin traversé par un ruisseau au fond duquel nageaient des truites. Deux enfants, les siens, une fille et un garçon de dix et douze ans jouaient sur les pelouses à des jeux très sages et sans jamais se disputer. Sa compagne, mignonne avec sa frange, son petit nez droit, ses pulls cool, ses jeans slim et ses bottillons, gérait son travail de dessinatrice de bande dessinée, la maison et les enfants, avec détermination, lucidité et douceur. Andrea l’aidait le mieux qu’il pouvait et cette petite famille se reconnaissait à son entrain, sa créativité et sa bonne humeur. L’entraide était le mot d’ordre et ils aimaient découvrir et se cultiver. La maison, toujours ouverte et accueillante, recevait les amis, les voisins, avec simplicité. On préparait une cuisine du monde qui variait en fonction des saisons, du Shawarma libanais aux mezzés grec en n’oubliant pas les sushis japonais, les samossas indiens, le ndolé camerounais, le kabuli palaw afghan, l’injera ou Le zigni Érythréen qui est un ragout de bœuf à la tomate parfumé de berbéré, mélange d’épices piquant dont Andrea raffolait.


Mais ce petit paradis, il ne le vécut que dans son imagination et sa vie se prolongeait toute autre.

Il avait bel et bien rencontré et aimé une jeune femme en bottillons, au petit nez droit et avec une frange, mais elle l’avait quitté après deux années d’une relation idyllique d’abord, faite d’incompréhensions et de distance ensuite. Ces deux-là ne se correspondaient pas, l’un et l’autre s’étaient trompés. Andrea traînait une image de soi problématique qui lui avait forgé un caractère curieux. En société, il était sur ses gardes comme un suricate qui aurait perdu de vue sa colonie.

— De quoi as-tu si peur ? lui lança un soir celle dont il savait depuis des mois qu’elle le quitterait.

Et ce fut là le dernier soir et les adieux à la fermette, aux deux enfants et à la vie, car depuis lors il survivait, ce qui n’était pas la même chose, mais dans cette survie il se passait de bons moments parfois et d’autres beaucoup moins agréables.


Au début, après cette terrible (il la jugeait ainsi) déconvenue, les sandwichs, pittas et cornets de frites remplacèrent la cuisine du monde et plus tard, trois ans plus tard, il entreprit de se faire plaisir, enfin, et de se cuisiner de bons petits plats savoureux mais pour lui tout seul. Cependant, il perdit à nouveau l’appétit cette effrayante année 2022, à cause d’un sac jaune. Un sac jaune sur lequel s’inscrivait le logo de la commune d’Oxselles et qui représentait non pas un aulne mais un chêne pédonculé. Pourquoi ce chêne ? Parce qu’il s’en trouvait de bien grands et de bien beaux tout autour des étangs d’Oxselles, tout simplement.


Andrea était rentré chez lui à vélo, ce deux mars vers dix-huit heures, de la rue de la Levure où il travaillait avec deux associés dans une petite imprimerie. Les commandes affluaient et il passait de la maquette à la composition et de la composition à la mise en page et toute cette activité, qu’il aimait, l’éprouvait en même temps, car lui et ses collègues n’étaient pas assez nombreux pour se permettre un rythme moins soutenu.

Sans être fort, Andrea se montrait résistant et souple. Élancé mais de taille moyenne, il portait la moustache fine et une barbichette qu’il lissait, dès qu’il avait les mains libres, entre le pouce et l’index. Les cheveux châtain toujours en bataille et négligemment coupés, et comment aurait-il pu en être autrement puisqu’il les taillait lui-même, l’allure aisée, élastique, mais le maintien altier, on l’identifiait facilement à cause aussi de sa démarche un peu lente. Lorsqu’il sortait, il revêtait, sauf en été, un K-Way bleu foncé de marque acheté sur une brocante et quelquefois un coupe-vent rouge anonyme bien coupé qui lui donnait une apparence sportive. Ce soir-là, vers dix-huit heures, il avait poussé la porte d’entrée, attaché son vélo au crochet fixé dans le couloir, prit son courrier dans sa boîte aux lettres et grimpé les trois volées d’escalier jusqu’à son logement qui en réalité était un duplex, avec sa chambre à l’étage sous la toiture. Il ôta son coupe-vent en nylon, caressa son vieux chat Victor, lequel fit miaw et se frotta contre ses jambes. Andrea, ce deux mars 2022 jeta son courrier sur la table basse et s’effondra dans un fauteuil. Et c’est ce jour-là, donc, qu’il se releva pour allumer la radio, qu’il en eut vite assez d’entendre le journal, qu’il sélectionna « CD » sur sa chaîne et qu’il écouta la voix relaxante et chaleureuse de Suzanne Vega. Il ne se lassait pas d’écouter Small Blue Thing, In Liverpool et World Before Colombus. Trente minutes passèrent, il avait rêvé et s’était un peu assoupi. Devant lui son courrier, deux factures et un pli de la commune d’Oxselles avec à gauche l’image du chêne pédonculé. Et sous ce dessin, il lut « SANCTIONS ADMINISTRATIVES ». Il s’agissait d’un envoi recommandé. Son neveu qui possédait la clé de l’appartement pour ne pas devoir rester dans son école toute proche durant le temps de midi, avait ouvert la porte au facteur et signé le document qui permettait de recevoir la lettre qu’il avait glissée ensuite dans la boîte de son oncle. Quelle faute avait-il commise ? Quels impôts impayés ? Après tous les soucis rencontrés dans la journée, les idées à trouver, les clients exigeants et les problèmes rencontrés pour récupérer du texte à l’aide du logiciel de reconnaissance optique, il fit la moue, ouvrit l’enveloppe à l’aide d’une lame de son canif et, passablement énervé, il lut :


Infraction au Règlement Général de Police – Constat N° 6/2022/0487291419

Vos références : TGKWF – 0998267ZJH9847JKYT8486/2022/0549OHV1

Monsieur, un agent communal a constaté, le lundi 16/02/2022 à 10 h 47 qu’un sac poubelle jaune, certes réglementaire, avait été déposé sur la voie publique en dehors des horaires autorisés devant le numéro 99 de la rue G. à Oxselles-La-Ferrière. Des documents à votre nom ont été découverts dans ce sac. Je pense dès lors que vous êtes l’auteur de ce dépôt.

Ceci constitue une violation des articles 7 et 21 du Règlement général de police de la commune d’Oxselles et ce comportement entraînera une amende administrative de 120 euros. Je vous donne quinze jours ouvrables, à compter de ce jour, pour régler ce montant.


Suivait une deuxième feuille intitulée :

CONSTAT ETABLI SUR BASE DE L’ARTICLE 932TER DE LA NOUVELLE LOI COMMUNALE. Sanctions administratives communales.

Fait(s) : Abandon de déchets sur la voie publique en dehors des heures autorisées.

Suspect : Andrea Gentile

Descriptif des preuves : 1 lettre à votre nom émanent du WWF et une enveloppe nominative « Médecins sans frontières ».

Ces deux documents trouvés dans le sac jaune ont été découverts par l’agent constatateur R.. qui me les a transmis.

De plus, une personne du voisinage a fait son devoir en nous confirmant que vous avez déposé ce sac en dehors des heures autorisées.

Sachez enfin que 25 000 infractions de ce genre sont constatées chaque année.

Et c’était signé : Rot Weiler, F. S. avec un post scriptum :

« En l’absence de victime, un travail d’intérêt général peut remplacer l’amende. Dans ce cas veuillez nous contacter au…. »


Andrea s’accrocha au dossier de son siège, les poings serrés, pour ne pas s’emporter outre mesure et faire valser tout ce qui se trouvait à portée de mains. Quelques instants plus tard, il reprit ses esprits mais toujours incrédule. Oxselles, sans qu’il le sût, avait-elle durant la nuit changé de politique ? Les chemises noires étaient-elle de retour ? Il se pinça la joue. Qu’est-ce que c’était que cette fonction d’agent constatateur ? Il savait ce que c’était qu’un

constateur, car il avait jadis aidé son grand père colombophile à enregistrer dans cet appareil l’heure d’arrivée de ses pigeons à l’issue d’un concours, mais « constatateur », il n’avait jamais entendu ce mot qui par ailleurs ne se trouvait pas dans le dictionnaire.

Il essaya de se souvenir. Oui, les sacs poubelles jaunes qu’on remplissait de papiers devenus inutiles, de journaux, d’enveloppes, de cartons, il les plaçait devant chez lui après dix-huit heures, mais parfois, lui, comme les autres locataires, les rangeait dans le couloir en partant travailler le matin et au retour il n’avait plus qu’à les sortir sans devoir monter et redescendre les étages pour un seul sac. Il arrivait qu’un des locataires se charge de les sortir tous en guise de bonne action, un acte altruiste qui demandait peu d’efforts, et sans doute l’un d’entre eux avait-il placé trop tôt sur le trottoir ces sacs jaunes décorés du logo de la commune.


Andrea décida d’exercer son droit de réponse. Dès le lendemain, passablement énervé mais lucide, il écrivit à peu près ceci :


Monsieur Weiler

Concerne Constat N° 6/2022/0487291419

Mes références : TGKWF – 0998267ZJH9847JKYT8486/2022/0549OHV1

Je conteste le bienfondé de l’infraction qui m’est reprochée.

Le procédé d’une lettre recommandée sans même un courrier préalable est très agressif et n’incite pas à la citoyenneté. Cet envoi m’a fait penser au pire : lettre de licenciement, décès ou que sais-je encore de très grave.

Le procédé d’une lettre recommandée pour un fait aussi peu avéré et les termes employés, menaçants et culpabilisants : « violation des articles », « je vous donne quinze jours ouvrables », « Fonctionnaire sanctionnateur », tout cela est disproportionné et nous éloigne de la convivialité chère à Oxselles et des procédures responsables et humaines qu’elle utilise habituellement.

Le fait de fouiller dans les sacs pose aussi la question du respect de la vie privée. Désormais je brûlerai courriers et journaux.

Je suis très perplexe aussi quant à l’incitation à la délation qu’on peut lire sur le document à moi adressé. Dénoncer mes voisins pour un sac poubelle sorti au mauvais moment je ne le ferai jamais à des autorités Nous ne sommes pas en dictature.

Je remarque qu’un envoi recommandé tel que celui que j’ai reçu coûte 8,51 euros à la commune. C’est-à-dire que des centaines de milliers d’euros sont utilisés avec l’argent du contribuable pour des sacs jaunes déposés cinq minutes trop tôt sur le trottoir.

Par contre, j’invite les responsables communaux à redresser enfin le panneau sens interdit plié par un camion à dix mètres de mon habitation et qui menace de tomber sur la tête d’un piéton.

Je signale par ailleurs, que les tags rouges vifs récurrents représentant des immenses pénis en érection (très mal dessinés et à la hâte) sur la façade du planning familial en face de chez moi, je les recouvrais jusqu’ici moi-même avec de la peinture payée à mes frais. Je ne le ferai plus. Cette laideur-là nous devons l’accepter ainsi que, dorénavant, vos recommandés traumatisants.

Je réclame au sanctionnateur Weiler ce que j’ai dépensé pour couvrir les anciens tags, soit pour deux pots de peintures la somme totale de 60 euros. Il faut ajouter à cela le temps de travail nécessaire pour faire disparaître ces inscriptions, soit 4 X 10 euros l’heure, ce qui nous donne un total de 100 euros à verser sur le compte suivant : BExx-xxxxxxx-xx dans les quinze jours.

J’invite enfin Monsieur le sanctionnateur à troquer ses excès de zèle contre la lecture du Zéro et l’infini d’Arthur Koestler, qui dresse un réquisitoire contre les dictatures et le système totalitaire pour lequel l’homme n’est rien, un zéro face à la collectivité, alors que l’humanisme voit en lui, au contraire, un infini.

Note : Copie de ce courrier à Monsieur Billy DeLongtry, Bourgmestre d’Oxselles.

Veuillez agréer l’expression de ma collaboration,

Andrea Gentile


Andrea se souvint plus tard que le jour du fait reproché, il ne se trouvait pas chez lui. La veille il s’était rendu en train à L. chez son ami Patrick et sa compagne. Comme souvent, ils avaient discuté très tard de mille banalités mais en s’amusant bien, et le dernier train manqué il s’était endormi, sur le divan du salon, après que son camarade lui ait apporté traversin et couvertures. Le lendemain il ne s’était présenté au travail qu’à midi en provenance directe de chez son ami et il n’avait quitté la rue de la Levure qu’à vingt heures. Mais, bon, cette affaire, c’était un peu comme s’il devait prouver son innocence pour un crime dont on le suspectait et il avait pensé devoir se mettre au diapason du pli accusateur et menaçant du fonctionnaire en prenant très au sérieux son contenu. Cela importait davantage que la somme réclamée.

Andrea reçu en retour, un mois plus tard, en mai 2022, une réponse dans laquelle le sanctionnateur expliquait qu’il avait bien reçu son courrier qu’il ne pouvait cependant pas le cautionner, étant donné le ton ironique utilisé. Il insistait sur l’importance dorénavant de sanctionner les auteurs de comportements dérangeant pour les autres. Exemples (lut-il) : crachats, tapage nocturne, jet de papier, affichage sauvage, dépôts clandestins… La procédure suivie était celle de la loi et rien n’y contreviendrait. Dans son cas, il fallait passer par de la répression. Il relevait que son travail était souvent ingrat et qu’il passait son temps à lire les courriers de ceux qui n’ont rien fait. Car c’est bien sûr toujours la faute du voisin ou du concierge.

Il terminait cependant en ajoutant qu’il n’imposerait malgré tout pas d’amende à Andrea puisqu’il s’était défendu en contestant l’infraction et il concluait par ces mots : « En espérant que vous aurez à l’avenir plus de respect pour le travail des autres ! »


À sa grande surprise il reçut tout de même, en décembre, la facture de 120 euros pour un sac poubelle jaune sorti en février. Il ne l’honora pas, fort de son bon droit, le sanctionnateur lui-même ayant écrit en mai qu’il ne le sanctionnerait pas. Il y vit alors comme un jeu pervers. On ne pouvait pas prouver sa faute ; dès lors, on l’accablerait de tracas administratifs jusqu’à le miner complètement, jusqu’à ce qu’il rendît l’âme, peut-être. Après tout, qui était-il pour ces fonctionnaires ? Personne. Un zéro.


En janvier 2023 il dut certifier sur l’honneur n’avoir jamais déposé un sac poubelle en dehors des heures autorisées. Il spécifia cependant qu’il ne se trouvait pas à B. mais à L. au moment du fait reproché et qu’il pouvait le prouver. Le service de police administrative accusa réception de ces propos qu’il transmit au responsable des sanctions administrative, s non sans demander à Andrea s’il pouvait envoyer la preuve qu’il se trouvait bien à L. au moment des faits.

Son ami Patrick Soulier, Directeur Général Adjoint d’Ecoplanet, organisme soucieux de promouvoir un environnement sain et durable, transmit au service de police administrative la lettre suivante :


Je suis contacté par Andrea Gentile, domicilié rue Jean G.. n° 99 à B., dans le dossier N° 6/2022/0487291419 relatif à un sac poubelle irrégulier.

Je tiens à vous signaler solennellement que monsieur Gentile résidait à mon domicile ce jour-là et qu’en conséquence il est matériellement impossible qu’il fut des deux côtés à la fois. Je vous remercie de prendre en considération ce témoignage capital dans ce dossier sensible.

Recevez, Madame, Monsieur, l’expression de ma meilleure considération.


Ce courrier envoyé, Andrea reçut la réponse suivante :


DERNIER AVIS AVANT CAPTURE. Il vous reste six jour pour effectuer le paiement de l’amende en question.

Andrea sollicita une seconde fois M. Billy Delongtry, Bourgmestre. Il le félicita pour la reconduite de son mandat après les toutes récentes élections, il résuma l’affaire en cours le concernant et clôtura sa doléance par ces mots :


À partir du moment où monsieur le sanctionnateur refuse mes explication, s je n’ai plus le choix que de payer des frais de requête d’appel au greffe du Tribunal en guise de recours. Monsieur le sanctionnateur semble inflexible et je crains des représailles. Je n’ai rien fait de mal, comment puis-je le prouver sans frais ? Je ne puis à ce stade qu’espérer, monsieur le Bourgmestre, que vous intercédiez pour moi auprès de monsieur le F.S. Weiler dans le but de trouver une solution.


Le Bourgmestre faisant fonction lui répondit en signifiant qu’il accusait bonne réception de ce courrier qui avait retenu sa meilleure attention, mais que, par la présente, il devait informer que le fonctionnaire sanctionnateur était totalement indépendant du pouvoir politique et qu’il ne pouvait, dès lors, pas intervenir dans sa décision de fixer ou non une amende administrative. Il ajoutait : « Je lui transmets néanmoins une copie de votre courrier afin d’attirer l’attention sur les arguments à faire valoir. »


Toutes ces lettres à en-tête ornée d’un chêne pédonculé en filigrane devenaient insupportables à Andrea. On transféra son dossier pour analyse approfondie et réexamen de la situation au « Service Spécial ». Celui-ci l’enjoignit d’argumenter les arguments déjà déposés. Andrea indiqua qu’il pensait dorénavant qu’un voisin mal intentionné le dénonçait et voulait sa peau, qu’il n’osait plus sortir un sac poubelle de peur de recevoir une amende et qu’il était atteint désormais du syndrome de Diogène. Il ajoutait : 


je suis prêt à faire de la prison pour deux prospectus dans un sac poubelle que je n’ai pas sorti en dehors des heures prévues par la loi. Monsieur le fonctionnaire sanctionnateur reste inflexible, ma bonne foi est mise en cause.

Je crains cet homme qui semble m’en vouloir en particulier.


Quelques mois plus tard, c’est-à-dire presque une année et demie après le fait reproché, Andrea reçut par courriel informatique cette fois, cette unique phrase émanant du Service Spécial :


Nous avons pris contact avec Monsieur Rot Weiler qui s’est montré ouvert pour envisager une relecture du dossier à la condition que vous lui écriviez un e-mail afin de préciser votre demande.


Andrea, au bord de l’apoplexie, précisa les précisions déjà précisées et obtint en février 2024 la réplique suivante :


Suite à votre courrier électronique du 07/06/2023, j’ai réexaminé votre dossier et j’ai tenu compte de vos explications.

Dès lors, je vous confirme par la présente l’annulation de la décision vous imposant une amende de 120 euros pour un sac poubelle retrouvé le 16/02/2022. Je vous prie de croire en l’assurance de ma considération.


En pièce jointe s’affichait le document de la facture initiale barrée en grand sur toute sa largeur par les termes « NON VALEUR ».

Andrea se souleva du fauteuil dans lequel il s’était assis pour lire et, d’un pas élastique, les cheveux en bataille, fatigué par sa longue journée passée à l’imprimerie, il dégagea du porte compact-disques le best off de Suzanne Vega qu’il n’avait plus entendu depuis le deux mars 2022. Il le glissa dans sa mini- chaîne HIFI et écouta World Before Columbus avec délectation. Son chat miaula parce qu’il avait faim, il lui servit ses éternelles croquettes, fit quelque pas, ouvrit grand la fenêtre qui donnait, en bas, sur les jardins et hurla de toutes ses forces ce qu’il pensait depuis le premier jour de cette affaire : « BANDES DE CONS ! » en direction de la Maison Communale d’Oxselles-la-Ferrière.

Andrea se souvint du livre qu’il avait lu sur les origines de cette commune, un fascicule plus exactement. Il lissa sa barbichette entre deux de ses doigts et il se dit qu’il fallait, décidemment, accepter n’importe quelles pressions et croyances pour profiter d’un peu de paix. Mais c’était là conforter les oppresseurs, ce qu’il lui était impossible de faire.

Au travail il avait supervisé le matin même l’impression en ancien français d’une épreuve d’un texte de Montaigne et son regard s’était un court moment attardé sur cette phrase qu’il avait retenue : « Et au plus élevé trône du monde, si ne sommes-nous assis que sur notre cul. » Il songea à l’ermite irlandais, à ses bœufs et à ses conversions, puis il se rendit dans la cuisine, noua un sac poubelle jaune rempli de journaux, descendit avec ce sac l’escalier, ouvrit la porte d’entrée et le déposa sur le trottoir, à dix-sept heures cinquante-cinq exactement.

Un mois plus tard un recommandé l’attendait au bureau de poste.

Oxselles-la-Ferrière

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