One buck, please
Afin d’y relier le Nouveau Continent, on a dû s’y débrunir le derrière avec ma Guillemette. Ce n’était pourtant pas prescrit, avec la peau fine qu’on se tannait autour de l’anus.
Qu’avec aussi peu de matière au trou de balle, on y ferait des ornières qui ne feraient que de nous mener mieux sur le sable.
Cela dit, malgré la tête d’ahuri de ma Gui’ à la vue du tarif, on ne s’est pas dégonflés devant le chantier, car on comptait y vadrouiller en Amérique.
Du moins… Je…
Alors, pour me faire plaisir, Gui, elle a fini par admettre qu’un bref vide sur le compte ne serait pas inexcavable. Qu’avec une main lourde et pas lésineuse, deux poinçons et demi de plus à la ceinture, l’épargne, elle se re-fabriquerait des plumes ipso facto.
Que notre écureuil à nous, c’était rien qu’un phœnix et qu’il ferait des petits dans les cendres et la poussière.
Qu’importe! On s’est traînassé de l’autre de la porte pour se rendre à Charles de Gaule et prendre un long courrier pour Salt Lake City. Seulement… tout le trajet de l’aérogare… Guigui, elle a fait que de se trisser.
J’avais beau y abonder le change à coups de papouilles satinées, de sourires décoincés, de regards bourrés de pétilles… le phœnix… elle ne se l’imaginait pas de bon augure.
Qu’avec un trou profond de même sur le compte, on courrait vers une avarie incomblable. Que cette fente irréversible, elle nous couperait bientôt en quatre. Qu’une béance telle ne ferait que de nous faire barrer tout droit en banqueroute!
M’enfin, elle s’est fait une raison. Elle a brûlé un cierge à Dieu et deux au diable. Puis, on a décollé quand même.
Notre voyage débutant sur de pareils chapeaux de roues, j’ai senti le moment opportun pour annoncer à ma Gui tous les tenants de notre petite vadrouille et ceux, jusqu’aux aboutissants. J’y ai dépeint le tableau à la six-quatre-deux durant toute la première heure de fret. Qu’aux places dans l’appareil qui nous demandaient déjà des efforts démesurés, s’ajoutait une location de véhicule sur le tas… des frais de route… de commissions… et un pêle-mêle de motels…
Que le phœnix bancaire, ce n’était pas que deux plombs qu’il se traînait dans l’aile.
Les neuf heures qui restèrent à voltiger à trente-six mille pieds au-dessus de la terre ferme furent une de ces croix et de ces bannières pour ma Guigui. Ce n’est pas moins de six trous d’air qu’on a subis attaché aux sièges d’une valeur de mille cent cinquante euros par tête de pipe. À chaque bordée, c’est de trois étages qu’on descendait.
Couplés aux dépenses secondaires qu’elle convertissait en dollars, Guillette, c’est carrément dans le dixième du dessous qu’elle a chu.
Guill”, au sortir de l’Airbus et pour évacuer son stress, il a fallu lui trouver un coin pour qu’elle s’en grille tout un paquet. Sûrement qu’elle pensait qu’en accumulant des tonnes de cendres, le piaf de feu apparaîtrait. Qu’il surgirait peut-être d’une malback ou de sa fumée.
Mais, l’oiseau rare, on n’a jamais pu le dénicher. Où qu’on se situât dans cet état, on devait creuser d’au moins six pieds sous terre pour vapoter.
D’entrée, ma Guillotine, elle a commencé à perdre la tête. De payer l’automobile avec un quart du reste de nos économies, ce fut comme si que je l’avais montée moi-même sur l’échafaud. Par l’épaule, je l’ai traînée dans le véhicule et l’ai assise à la place du mort. On a vadrouillé dans ce silence de faucheuse comme ça jusqu’au premier motel. Une fois les valises rangées, elle a voulu dormir et que je la borde sur le dos en sarcophage. Moi, je ne pouvais pas la laisser pareille ma Guillemette avec son teint blanc d’embaumé. J’ai proposé qu’on aille grignoter un bout, histoire de ne pas mourir de faim. Dieu qu’il était temps! C’est à peine si je l’ai pas sorti les pieds en avant ma Guigou! L’avait fallu que j’use de ruses comme de lui promettre que j’allais nous dénicher une petite brasserie dans nos maigres moyens. On a déambulé trois heures durant, en vain. On a fini au Mc Do. Et, pour fumer notre clopiot, on a dîné sur le trottoir à vingt pieds des abords du resto.
On a dégusté notre bouillon de onze heures comme ça… comme des clodos… Comme de ce qu’on serait bientôt, qu’elle a rajouté ma Guillo”.
Parti pour parti, on a transbahuté quatre cents miles par quatre cents miles. Et, ma Guillerette, elle est parvenue à s’y accommoder aux mille folies. Elle avait décidé de le vivre tout à fait, ce dernier plaisir.
Plutôt que de se pencher sur les mille douleurs à suivre.
C’est avec notre pactole moitié vidé qu’on s’est pointé à Vegas. Et, même si Vice City faisait partie du périple et non du hasard, j’y ai vu un signe. Ma Guigome, je lui ai promis qu’on allait se refaire ici.
Elle m’a de suite cru quand elle a relevé qu’on pouvait passer la soirée à smoker au pied des machines.
Au Cæsar’s Palace, Ma Guitoune, elle a choppé la gâchette facile. Elle a cramé une cartouche de Lucky et cinquante-sept dollars en trois mises sans penser une seule fois à la rue de la cloche. Elle avait même repris de l’espoir dans ce cinoche! Elle accumulait un tas de cendres au pied de sa machine dans le but d’enfanter un phœnix. Elle gueulait sur les Chinoises qui nettoyaient la moquette et qui dispersaient ses restes de cigarettes. On ne pouvait plus lui faire entendre que dalle. Elle avait une de ces peurs que le piou de feu ne soit pas viable. Qu’à cause de mises lâches, il soit bon à avorter. Alors, pour prévenir la fausse couche, elle piochait dans notre pactole de voyage ad libitum.
Jusqu’au dernier dollar. Jusqu’à ce que le portefeuille ne soit plus qu’un porte-plume.
Il ne restait pas bézef dans l’appareil quand, Guimou, elle a retiré son cash voucher. L’automate, c’est un ticket de trente cents qu’il lui cracha. Elle ne s’est pas fait de bile pour autant. Elle était persuadée que le gros lot se trouvait à ses panards au beau milieu du tas de mégots. Qu’en curant le fond, on allait tomber nez à nez sur une source de pognon.
Que le rêve américain, il germait dans la mouise. Tout comme les champignons.
Je n’en menais pas large lorsque que, Guilhem, elle a capiche qu’on était sur la paille. Plutôt que de finir clocharde, elle a voulu se trancher les veines. Les quatre!
Cependant, comme on était sans gain, ma G, elle n’en a pas trouvé une seule, de veines.
Pour le coup, avec trente cents en voucher au milieu du Strip, tu te sens vraiment à poil. On a erré comme ça, dépouillé et glabre, entre les escaliers roulants. Il ne nous restait qu’une nuit au César. Guillemette, elle lorgnait les coins pas trop cradingues pour le lendemain. Elle s’y était résignée à la vie de trimard. Juste, elle avait honte. Elle ne faisait que de me répéter que malgré le fourbi dans les rues, on nous remarquait des miles à la ronde.
Que parmi les centaines de milliers de pelés, les deux tondus, c’était nous!
Sûrement à force de descendre et de monter les escaliers mécaniques de trottoir en trottoir, l’aubaine est réapparue en flèche. Alors que ma Guilou s’entraînait déjà à miner les ordures, elle a ramassé une carte de visite pour Escort Girl et un cash voucher d’une valeur de quatre-vingt-dix cents en creusant une poubelle. Alléluia! On a filé derechef vers le premier bordel à sous. Arrivée au Flamingo, ma Guimoute, elle a fait trente-six fois le tour à la recherche de la bonne bécane. Elle a jeté notre dernière chance sur une Buffalo Blitz et a enfilé les tickets de cash dedans. Elle m’a tendu la carte à pute pour que je la garde, cas où qu’on repartirait bredouille.
Que si jamais c’était la banqueroute, je n’avais plus qu’à l’appeler au numéro de l’agence que je tenais dans les mains à partir de demain pour lui faire l’amour.
Gilles, elle a chopé le manche et elle a déclenché la roue. Celle de notre futur destin. Les buffles se sont élancés. Moi, je n’ai pas osé reluquer la suite. Les sons qui crépitaient de l’engin, ils me rendaient malade d’avance. Y avait des cris d’Indiens et des tintements de sabots au galop. Je m’imaginais déjà ma Guimo en train de se faire monter par un de ces cowboys. Lorsque la machine s’est mise à hurler “Buffalo”, j’ai cru que le berger et tout son troupeau se pointaient pour lui faire la bête à deux dos.
J’ai ouvert les paupières et en fin de compte, c’était le gros lot.
Avec les six cent quarante-trois dollars qui nous tombèrent du ciel, on s’est barré fissa du Flamingo. Tellement on a eu peur de tout remettre à jouer sur une table de blackjack, on a annulé notre nuit au César. On a pris deux cents dollars de commission dans les dents, mais on en a récupéré trois cents tout de même. Ce fut quasiment le prix du parking pour pouvoir sortir de ce traquenard. Rien qu’on a ajouté le plein dans l’auto puis c’est tout. On n’a pas musé plus longtemps dans le Nevada.
Et, par crainte d’y laisser un bras, on ne s’est même pas retournés une dernière fois.
De là, on est passé en Californie. Mais, l’euphorie, elle est rapidement redescendue. Autant que nos dollars qui ne faisaient que de décroitre. À ce rythme, on se demandait si l’on arriverait à l’atteindre, le bout du monde.
Si l’on serait rendu à San Francisco avant le bout du rouleau.
Et, en effet! À mi-chemin, on a failli se finir dans un parc. On n’avait jamais miré de séquoia nous auparavant. Guillerette, ça l’a rétablie tout comme. Face à ce spectacle, elle a retrouvé de la joie. Elle bissait qu’après avoir vu un tel paysage, elle pouvait mourir là. Comme ça. Pantoise.
Heureusement, les premières branches du Général Sherman se situaient à plus de quatre-vingts mètres de haut. On n’a jamais pu lui trouver une longe assez prolixe pour qu’elle s’y pende au pied.
À ce stade, il était grand temps que je le lui annonce à ma Guillemette. Qu’en fait, ce voyage était une épreuve, certes. Mais, il n’avait jamais été question de lui passer la corde autour de la tête.
Juste une bague à l’annulaire.
Peut-être, aurais-je dû le lui demander avant à ma Guillaume. De m’agenouiller, c’est comme si l’on me l’avait rendue ma guimauve. Toute sucrée et pétulante. Elle m’a dit oui d’une traite. Elle n’était plus du tout blafarde à l’idée de vivre d’eau fraîche.
Tant que l’amour allait avec.
Tout compte fait, on a relié San Francisco sans forcer de trop. C’est ici que l’on a arrêté de transbahuter. On a rendu la voiture et, nos dollars, ils ne se comptaient plus qu’en monnaie. On a crapahuté à pied dans les rues pentues jusqu’à la trente-sixième jetée. On s’est fait des ampoules et des protubérances aux pieds pour y arriver. Quand on y est parvenu, on a posé les valises pour admirer la vue et se gratter le cul.
Pour sûr, elles nous avaient menées sur le sable, nos ornières au derrière. Mais aussi en bord de mer.
Au loin, on a deviné les fines jambes métalliques du Golden Gate qui tranchaient le bleu du ciel et celui de l’océan. Cloquer pour cloquer, on s’est avancé pour le traverser. On a longé le front à partir de la gare à tramways jusqu’à Alcatraz. Puis on a relié la forteresse de la guerre de Sécession par le parc qui conduisait à l’entrée du pont. On s’est planté sur un banc non-fumeurs et comme on n’avait plus rien à perdre, on s’en est grillé chacun un paquet. On s’est enracinés des heures rien qu’à regarder les vaguelettes du Pacifique se faire happer par le chahut des voitures et leurs ballets incessants. Quand le ciel s’est mis à noircir, on s’est attachés à la voûte céleste. Elle se bourrait d’avions de ligne qui décollaient face à nous de l’autre bout de baie. Ils clignotaient et tiquaient sans aucune cesse ni arrêt. On a commencé à somnoler en comptant les Boeing et en songeant que l’on serait à bord d’un de ceux-ci pour rentrer demain.
On s’est endormis comme ça sur le banc, rien qu’à rêver à notre chez nous.
Loin… Très loin… À distance éternelle du fantasme américain…