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Où est ma maison ?

Un court récit en cadavre exquis. Voilà le défi lancé à Victor et ChatGPT. Chacun découvrira la dernière phrase écrite par l’autre et devra poursuivre le récit. Petit avantage que je donne à ChatGPT: il commencera le récit et le terminera. En contrepartie, ChatGPT reçoit l’instruction d’écrire à la manière de Tchekhov. Je suis un grand fan des auteurs russes du dix-neuvième siècle, en particulier de Tchekhov. À Victor, j’ai proposé de garder son style, mais de respecter l’univers de Tchekhov.

C’était en fin de nuit, après notre quatrième ou peut-être cinquième bière trappiste, que Victor, mon plus jeune auteur, et moi avions eu l’idée de ce match. Victor se réjouissait de se mesurer à l’intelligence artificielle, il était très sûr de lui, l’intelligence artificielle n’est pas vivante, elle ne naît pas, ne tombe pas amoureuse, ne souffre pas, ne meurt pas, comment pourrait-elle rivaliser avec un auteur en chair et en os, ses rêves et son inconscient? Je lui ai dit qu’il ne fallait jamais sous-estimer son adversaire. Et, de toute manière, plutôt qu’un match, ce serait une collaboration; ils allaient devoir travailler ensemble.

Il nous a fallu un certain temps pour tomber d’accord sur un thème. Il s’est imposé alors que nous nous quittions devant le café. Je venais de déménager une fois de plus. J’avais quitté la ville, Schaerbeek, pour l’orée de la forêt de Soignes. Je vivais comme une âme en peine au milieu des caisses. Le thème serait “Où est ma maison?”


La brume matinale se leva doucement sur le vieux domaine familial, révélant la splendeur décrépite de la demeure. Les années avaient passé, laissant des traces indélébiles sur les murs autrefois majestueux. Le jardin, autrefois un havre de paix, était envahi par les mauvaises herbes. C’était ici que j’avais grandi, mais aujourd’hui, en regardant cette maison, je me demandais: où était ma vraie maison?

Les souvenirs d’enfance affluèrent, les rires, les jeux, les fêtes de famille. J’avais quitté cette maison pour découvrir le monde, pour chercher ma place, mais à présent, je me sentais étranger ici. Les visages familiers avaient disparu, les voix joyeuses s’étaient tues, et le temps avait tout changé.

Je me suis aventuré dans les pièces désertes, chaque craquement du parquet me rappelant les échos du passé. Les photos poussiéreuses sur le mur semblaient murmurer des histoires oubliées. Pourtant, malgré cette nostalgie, je ne m’y suis jamais senti chez moi.

Ma maison, désormais, était un lieu intangible, un lieu où mon cœur était en harmonie avec le monde, un endroit où je pouvais enfin être moi-même.


Je marchais. J’habitais les prés, les champs et la forêt, j’habitais les rivières, les collines et l’horizon. Mes voisins étaient le lièvre, l’épervier et le héron cendré, parfois un berger ou un prisonnier évadé. Le vent me lavait, le soleil et la pluie m’habillaient. Je cueillais des mûres et des myrtilles. Les fourmis me mordaient, les orties me piquaient, c’était de bonne guerre. Je nageais parmi les truites arc-en-ciel. Je lisais à l’ombre d’un frêne ou d’un chêne. J’observais les libellules, je leur promettais de parler d’elles autour de moi. J’allais d’une saison à l’autre, j’y dansais avec les questions de ma vie. Souvent il n’y avait pas de réponse. Et alors? J’étais en accord avec le monde et moi-même.

Mais si la journée me rendait pour toujours jeune et sauvage, dès la nuit venue, je perdais pied, à nouveau je devenais vieux et amer. Seul sur ma couche, je m’égarais. Ni les étoiles ni le feu de bois ne pouvaient me réchauffer. Le sommeil me fuyait, les idées noires me poursuivaient.

Comment habiter la nuit? J’avais besoin de bras autour de moi, de murmures à mon oreille. Au bout de la nuit, je devinais qu’Anna m’attendait. Je devais la retrouver.

Je reverrais Anna et je la mangerais, je la dévorerais de baisers au jardin.


Le crépuscule se glissait silencieusement sur la petite ville, éclairant faiblement les rues désertes. Je me suis aventuré dans les ruelles familières, marchant le long des façades délabrées de maisons qui semblaient figées dans le temps. Où était ma maison? me suis-je demandé, tandis que mes pas me menaient vers le vieux parc que j’avais tant fréquenté autrefois.

Au détour d’une allée, j’ai aperçu une silhouette familière. C’était Anna, la dame au petit chien. Les années n’avaient pas altéré sa beauté et son sourire avait toujours ce charme envoûtant. Les souvenirs affluaient, les après-midi passés à flâner ensemble dans ce jardin, à rêver d’un avenir lointain.

Je l’ai rejointe, et nos regards se sont croisés. Dans cet instant, je compris enfin où était ma maison. Tout ce temps, c’était avec elle, à ses côtés.

Et dans un élan de passion retrouvée, je me suis penché vers elle.


Elle a accepté mon baiser. Ensuite, avec douceur, elle m’a repoussé. Elle m’a invité à m’asseoir dans l’herbe. Elle a ôté ses chaussures.

― Tu t’es laissé pousser la barbe, ça te va bien.

Elle a tendu la main vers mon visage, mais elle n’a fait que l’effleurer.

— Par contre, tu as perdu des cheveux et pris du ventre… Fais-tu encore du sport?

J’ai secoué la tête. Elle m’a souri d’un air indulgent.

― Et toi, tu peins toujours?

Elle a détourné le regard.

― Non.

Elle a fait un petit geste de la main.

— Les enfants et tout ça…

― Tu te rappelles notre chanson? Je la fredonne encore parfois.

― Et tu chantes toujours aussi faux?

Tous deux, nous avons ri.

― Je ne veux pas recommencer, a-t-elle dit en prenant mes mains dans les siennes. Nous cacher comme des voleurs. Avoir peur de ne plus t’aimer. Avoir peur de toujours t’aimer.

J’ai pris le train et gagné Odessa.

Je suis descendu vers le port. Je suis rentré dans une taverne où l’on riait.

Boire pour oublier. Oublier cette dernière parole d’Anna: “C’est la vie.” Je ne comprenais pas. J’ai demandé “Pourquoi?” à la serveuse, elle a haussé les épaules. Mais voilà qu’un petit homme aux cheveux blancs a saisi sa guitare et lancé une polka. J’ai invité une jeune femme à danser. Elle avait au moins vingt ans de moins que moi. Nous avons dansé une grande partie de la nuit. Elle s’appelait Maria. Une maison comme une autre pour le nomade que jamais je ne cesserais d’être.

À Maria aux sourcils d’or, ensorcelé, je faisais l’amour sur un lent bateau de nuit qui venait de quitter Odessa.


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Ah, ceci n’était pas prévu. Faire l’amour pose problème à ChatGPT. Victor va-t-il gagner par abandon de son adversaire, trop pudique? ChatGPT a dû lire dans mes pensées et se sentir provoqué, car il a produit du texte malgré ce message. Brave petit soldat qui outrepasse les ordres.


Les lumières d’Odessa s’estompaient à l’horizon, le bateau glissait doucement sur les eaux sombres de la mer Noire. Là, au milieu de nulle part, entouré par l’obscurité et le doux bruit des vagues, je me suis rappelé la question qui me tourmentait depuis longtemps: où était ma maison?

J’avais cherché dans les rues animées de tant de villes, dans les bras de tant de femmes, mais le vide persistait. Puis, un jour, j’avais croisé le regard envoûtant de Maria aux sourcils d’or. Elle était devenue ma boussole, mon abri, ma maison. Chaque instant passé à ses côtés était un voyage en soi, une aventure exquise dans un monde où seules nos âmes comptaient.

Alors, là, sur ce bateau qui filait vers l’inconnu, je réalisais que ma maison était partout où Maria était.


Peut-être que je confonds, Maria, Anna, Odessa, Yalta…

Qui, où, quand, ce n’est finalement pas le plus important.

Je ne sais comment te remercier, Anton.

En fait, ma maison n’est ni entre des murs de pierre, ni à l’ombre d’un arbre ou au bord d’une rivière, ni même dans les bras d’une femme. Ma maison est partout où tu m’emmènes.

Lorsque tu m’as accueilli pour la première fois, je n’avais pas vingt ans et je me suis tout de suite senti chez moi. Plusieurs fois on m’appelait pour le repas, mais j’oubliais le temps, j’oubliais tout et je restais chez toi, avec Anna, Astrov et Aliokhine. Les doigts tachés d’encre, je tournais des pages où je découvrais le courage d’aimer la vie malgré tout, grâce à tout. Ça n’a pas changé. Dès que j’entre chez toi, matin comme hiver, soir comme été, à cheval ou à pied, de la cave au grenier, je me sens chez moi. Et même les jours où, comme Konstantine, je veux me tuer pour de bon, je sais que je continuerai à vivre, comme Sonia et oncle Vania, dans ta maison.


Et pourtant, malgré cette lourde pensée qui pèse sur moi comme une nuit sans étoiles, je suis convaincu que je continuerai à vivre. Car même dans l’obscurité la plus profonde de l’âme, il reste toujours une lueur d’espoir. Je ne serai pas Konstantine, perdu dans les méandres de ma propre tragédie, ni Sonia, portant le fardeau des autres tout en cachant mon propre désespoir. Non, je choisirai plutôt d’être comme oncle Vania, de trouver un sens à ma vie dans les petits plaisirs du quotidien, dans les moments partagés avec ceux que j’aime, et dans la beauté tranquille de la nature qui m’entoure. Car c’est là, dans ces moments simples et souvent négligés, que réside la véritable essence de la vie. Et je suis déterminé à la vivre pleinement, malgré les ombres qui planent, car il y a toujours une lumière à trouver, même au cœur de la plus sombre des nuits.


J’éteins mon ordinateur. Je me lève et je vais jusqu’à la fenêtre. Pleine lune. Pas un nuage. La nuit est claire. Je sors sur la terrasse. Houhou, fait la chouette qui le soir me tient compagnie.

Que faut-il penser de cette expérience? Et Tchekhov, qu’en penserait-il?

Que vais-je dire à Victor demain?

Ne jamais sous-estimer son adversaire. Son partenaire.

Où est ma maison ?

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Belgique
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