Nationalisme, populisme, souverainisme…
17 janvier 1995, Strasbourg. « Je vous remercie de m’avoir écouté. Je terminerai par quelques mots, plus personnels. (..) Il faut vaincre ses préjugés. C’est presque impossible, car il faut vaincre notre histoire, et pourtant si on ne la vainc pas, il faut savoir qu’une règle s’imposera, mesdames et messieurs : le nationalisme, c’est la guerre ! La guerre, ce n’est pas seulement le passé, ça peut être notre avenir. Et c’est vous, mesdames et messieurs les députés, qui êtes désormais les gardiens de notre avenir et de notre sécurité. »
Le discours de François Mitterrand devant le Parlement européen qui apparaît comme un testament et un héritage, quelques semaines à peine avant sa retraite politique et un an avant son décès, n’a pas pris une ride en plus de 27 ans. Pas un mot, pas une virgule ne ferait tache aujourd’hui dans le même hémicycle.
Évidemment, si on s’en tient au dictionnaire, le nationalisme est une doctrine parmi d’autres. « Mouvement politique d’individus qui prennent conscience de former une communauté nationale en raison des liens (langue, culture) qui les unissent et qui peuvent vouloir se doter d’un État souverain » si on se réfère au Larousse. L’histoire nous a enseigné que le nationalisme a revêtu au fil du temps diverses significations, il a participé à l’émergence des États-nations qui ont donné naissance aux démocraties parmi les plus solides, il a été brandi aussi par les peuples colonisés pour revendiquer leur indépendance.
Mais à la fin du 20e siècle, il est revenu sur le devant de la scène comme une forme de repli sur soi, une volonté de couper le monde entre « nous » et « eux », une capacité de définir des ennemis coupables de tous les maux et souvent, un terreau pour la xénophobie, très loin de l’idée de « vivre ensemble dans un monde meilleur » du 19e siècle romantique.
C’est ce nationalisme-là, qui divise, qui construit des murs plutôt que des ponts, que Mitterrand annonce et dénonce. C’est ce nationalisme-là, qui prend des formules identitaires, populistes, souverainistes voire « postfascistes » dans certains pays, qui s’est désormais installé un peu partout en Europe, parfois jusqu’au pouvoir.
On a l’impression, aujourd’hui, dans la politique européenne, que le clivage traditionnel droite-gauche qui a dominé à la sortie de la 2e guerre mondiale a laissé place à un autre, entre celles et ceux (de gauche ou de droite) qui prônent un monde ouvert, solidaire, collaboratif, et ceux qui voient la solution aux problèmes dans la confrontation ou le rejet de l’autre : le voisin, l’étranger, le technocrate, l’Europe, la multinationale, au choix.
Le nationalisme est légitime quand il unit des citoyens derrière un projet commun autour d’une langue, d’une terre, d’une culture, d’un patrimoine. Il est dangereux quand la défense de ces valeurs se fait au détriment de la solidarité, du respect de l’autre et du bien commun. À commencer par le bien commun supérieur, la Terre. Quand on est confronté au dérèglement climatique qui commence à montrer ses effroyables conséquences, comment penser que la solution se trouvera à un niveau local, régional ou même national ?
Le raisonnement vaut aussi pour les crises économique et sanitaire. D’une manière générale, plus la mondialisation grandit, plus le nationalisme prospère, en un mouvement contradictoire et infernal dont on se demande comment sortir.
Il est évident que ceux qui ont gouverné nos pays depuis des décennies portent une responsabilité énorme dans la situation actuelle et dans la fatigue des démocraties qui amènent une partie de la population vers des discours simplistes, racoleurs mais percutants. Mais où un régime nationaliste moderne basé sur le repli sur soi a-t-il apporté des solutions durables aux populations, aux crises actuelles et à la démocratie ? Poser la question, c’est y répondre.
Le nationalisme, c’est la guerre, disait donc Mitterrand. Aujourd’hui, cette guerre que l’on croyait rangée dans les greniers de l’histoire, est aux portes de l’Union européenne, née sur l’idée de paix et de prospérité. Va-t-on y répondre, nous aussi, par un excès de nationalisme ? Ou le conflit en Ukraine va-t-il servir d’électrochoc aux Européens ? C’est l’avenir du continent qui est en jeu.