Je parle au frigo
Je t’écris sur un trottoir plein d’excuses, entre deux déconnexions. Ce qui est devenu quasi subversif. Sans être techonophobe, j’ai pris cette habitude des coupures du Net. Je ne me distancie pas, j’en profite pour ralentir, écrire et lire. Pour dériver et mieux rejoindre l’autre.
Autrui c’est quoi? Un visage, une personne. Autrui c’est toi, la personne qui me lit, c’est n’importe qui et surtout quelqu’un. Entendu comme un être-espace de rencontre possible. Sinon le n’importe qui serait le n’importe quoi, et c’est l’inhumanité même.
Si on gomme de plus en plus les différences entre réel et virtuel, ce dernier même tactile n’est pas chair habitée. Il faut sans cesse retrouver l’azur le ciel d’enfance, celle d’avant les écrans, sans les proscrire. La réalité virtuelle se maquille et colore ses lèvres d’une blessure rouge qui déborde à cause des sursauts de la vraie vie.
Parfois l’émotion est une berlue noire emportée par le rouge. Elle aveugle au sang, cache la vue et le ciel est moins clair. Les oreilles battent la mesure du muscle cardiaque qui frappe aux tempes. L’émotion se hausse par le tuyau du ventre, elle reflue mousse au canal, surgit, déborde, inonde par saccades. S’émouvoir c’est exister et insister, s’efforcer de durer. Donc comprendre et reprendre plus calme le fil des heures.
Seul dans ma cuisine, je parle au frigo en agitant les bras: “Quel monde! De l’intelligence émotionnelle à l’intelligence artificielle aux mains d’entreprises privées. Du négationnisme à la production exponentielle de fake news dans l’arène numérique, où le crachat remplace le débat, voyez comme tout repart en boules! Est-ce que l’intelligence virtuelle sera dotée d’autodérision, et si oui, sera-t-elle rythme cardiaque, jus de cervelle, peau, troupeau de frisons?”. Je suis seul dans ma cuisine, je parle au frigo qui ronronne qui m’aime et me comprend.