Four-score Men and Four-score more
Celle-ci, elle a commencé devant l’école du petiot en pleine période de giboulées sans giboulées. Le mercure du thermomètre s’étranglait du réservoir à la chambre d’expansion, comme pour un septième ou huitième mois de l’année. L’ombre fondait sur place. On enregistrait de brûlantes et abominables températures à faire chuter tous les grimpants.
Ce n’était pas encore le printemps que, déjà, toutes les mamans sortaient en courte.
Deux et deux, quatre. Quatre et deux, six.
Tandis que je comptais le nombre de jambes à l’air bourgeonnant le long des grilles du préau, j’en venais à me poser de sérieuses et bandantes questions existentielles.
Comment ça serait une fois que l’été se serait pointé? À ce rythme infernal, est-ce qu’en juillet, les mamans, elles en tomberaient leurs culottes?
Aux prises avec mes branlettes d’esprit, six et deux qui font huit, je n’ai pas vu venir le crâne d’œuf qui s’empressa de sortir de derrière les fagots.
— Douze! qu’il s’est esclaffé. Rendez-vous compte?
— Doux Jésus! J’étais justement en train de faire le compte!
— Combien?
— J’étais rendu à huit!
— Nom de Dieu! Rendez compte! À douze qu’on est passés!
— Terrible!
— Et, se pourrait bien que d’ici cet été, on en compte le double!
— Dément!
Il reluqua mes mains chargées d’un paquet de barquettes au chocolat et d’une petite bouteille de Tropical prévus pour le goûter d’après classe du marmot.
— Z’êtes parent d’élèves?
— Fait chier, ouais!
— Jean Foutre, représentant LFI.
— Boris Merle, enchanté.
Il débraya sa chemisette à manche courte et sortit de sa pochette intérieure une cartonnette. Il m’a tendu le ticket.
— Prenez ma carte, Boris! Ce week-end, mon parti organise une réunion! Venez! Vraiment! J’y tiens! Et, vous verrez, nous ne sommes pas les deux seuls à faire le compte!
— Merde! Qui d’autres?
— D’autres parents! Des pères! Des dizaines! Des centaines de paternels! Qui, comme vous, font inlassablement le décompte!
Allons bon! Des dizaines de milliers de gus! Rien que pour une toute petite école comme la nôtre!
Sacre-foutre de couilles! Des paires de jambes, il n’y en aurait jamais assez pour tout le monde.
J’ai laissé passer trois à quatre jours. Voir si le soleil ne baisserait pas d’un ton, afin que les pelouses aient le temps de verdir. Voir si les belles plantes, elles garderaient leurs collants.
Mais, à l’ombre, toujours, on enregistrait quarante. Les vêtements n’étaient plus du tout mettables Le petiot, il n’avait même plus sa Tropical. Je la sifflais entièrement en attendant la sortie des classes, à force de compter deux par deux le nombre de gambettes qui ne faisaient que de croître.
Douze et deux qui font quatorze. Quatorze et deux qui font seize. Y avait pas de cesse.
C’est comme ça, la vingtaine approchant, que je me suis décidé à cheminer vers l’adresse indiquée au dos de l’étiquette du représentant Jean Foutre.
Rassemblement LFI
École en danger. Parents aux aguets.
15 avenue Victor Hugo
Local technique de la mairie
Samedi 26 mars. 11 h.
Ce 23 mars, le pare-soleil tiré et la clim à seize, je me suis engagé sur l’avenue. La lumière tapait dur sur la chaussée au point de virer en magma. L’asphalte devenait basalte. En à peine cinquante mètres, j’ai croisé pas moins de quatre paires de guibolles rendues jusqu’au nombril.
Merde! Le sol, c’était de la lave. Et seize plus huit, ça faisait vingt-quatre.
À une demi-borne, de l’autre bout de l’avenue, fallait rejoindre le local. Il apparaissait au loin, ondulant au travers du pare-brise comme ces oasis illusoires du désert.
Était-ce une hallu’? Arriverais-je à terme? Et de vingt-quatre, passerais-je à la quarantaine?
Malgré le fournil, j’ai repris espoir. Les mètres défilaient et, les culottes, elles commençaient à choir.
Et de quarante-deux. Et de quarante-quatre.
Enfin, j’ai fini par rallier le rassemblement. Aux abords, y avait une fanfare. Tout autour, des ribambelles de banderoles.
École en danger! Rejoignez! Les centaines de milliers de parents aux aguets!
Et, même si l’on passait de quarante-quatre à quarante-huit, bordel de Dieu, pour des centaines de mille de représentants, on filait droit au péril!
J’ai garé la vago près du bazar. À l’entrée, parmi les gueulards, qui scandaient en chœur Macron, y’en a marre, Jean Foutre jouait le zigomar. Il déboutonnait sa chemisette à tout-va et délivrait des cartonnettes à bout de bras.
Comme Shiva, il semblait en posséder quatre.
— Jean!
— Boris! Je le savais! Mon petit doigt, il me l’avait dit que vous viendriez!
— Merde! Qu’est-ce que c’est que tout ce cirque!
— Et bien! La réunion LFI! Pour toutes les écoles en danger!
— Enfoiré! Quarante-huit! Pour cent mille représentants! C’est du porno! Une partouze!
— M’enfin, Boris! Pour amorcer le décompte, c’est un million qu’il faut que nous soyons!
— Comment ça, le décompte? Merde! Un million pour moins de quarante-huit? Quel genre de pornographie est-ce?
— De la politique de gauche, cher ami!
Nom de Dieu! Les réunions de gauchos, c’était rien que des gonzos!
À l’entrée, les gangs-bangers hurlaient toujours. Macron! Démission! Notre école, c’est notre maison! C’était plus possible de se faire entendre auprès de Jean Foutre, qui retourna dans les rangs redistribuer frénétiquement ses cartonnettes à l’aide de ses deux paires de manches. Avec, il luttait à tour de bras contre la chaleur ambiante. Il ventilait à vitesse Grand V. De rester à ses côtés, les gauchistes, ils se trimbalaient la goutte au nez. Les mamans des alentours ne se découvraient plus d’un fil. De quarante-huit, on est descendus à quarante-deux.
Cette foutue réunion libidineuse, elle virait en partouze des plus furieuses!
De combien voulaient-ils donc descendre? De quarante à trente jambes? De réduire à la douzaine? Finalement, qu’il ne reste qu’une paire?
Une seule tête pour un million de verges, ce n’était plus n’importe quel rassemblement, c’était un bukkake.
Et Jean Foutre, avec ses quatre membres supérieurs, il ventilait, ventilait, ventilait, ventilait. De quarante, on est repassé à douze! De douze à huit! La météo, elle est redevenue de saison!
Les giboulées, on les avait esquivées, mais la giclée, celle-là, on ne passerait pas à côté.
Huit moins deux qui font six. Six moins deux qui font quatre.
Dans les parages, froid glacial. Plus une maman sans une paire de collar, si ce n’est deux qui n’avaient pas frais au pétard.
Allons donc! Le dénouement! Quelle serait la paire de guibolles qui, à elle seule, sauverait l’école?
Quatre moins deux, qui font deux. Et, ça y était, l’en restait qu’une pour un million de queues.
Tel un des trois dieux primordiaux, multibrassiste, Jean et ses quatre manivelles s’avancèrent vers la dernière paire d’allonges faites comme deux magnifiques aiguilles longilignes avec, comme culotte, rien qu’un bout de laine tricoté en bout. Elles équivalaient à six moyennement fichues.
Alléluia! Deux plus six, qui font huit!
Et, Jean, il avait beau agiter ses quadriballants, il n’était pas au bout de ses peines!
La paire de quilles qui en valait six, des balanciers elle en avait dix!
À la demande des représentants LFI, Shiva voulut l’arrêter! La juguler! La décompter! N’en faire qu’une paire! Mais, Kali, perchée sur ses interminables échasses, ne la remarqua pas.
Elle piétina le Dieu Shiva à quatre bras.
Deux et deux quatre. Quatre et deux six.
Tandis que j’additionnais les mètres que totalisait la longueur totale des gambettes de la glorieuse déesse à dix bras, j’en venais à me poser de sérieuses et bandantes questions existentielles.
Combien que ça ferait si jamais elle venait à porter des compensés? Et l’école, bon Dieu, était-elle sauvée?
Aux prises avec mes branlettes d’esprit, six et deux qui font huit, je n’ai pas vu venir le marmot qui s’empressa de sortir de derrière les grilles du préau.
— Papa! Papa! Eh oh! T’as encore tout bu mon Tropical!
J’ai regardé mes paluches chargées d’un paquet de barquettes au chocolat et de la petite bouteille au Tropical, vide, prévus pour le goûter d’après classe du bambin. Puis, j’ai visé à gauche et louché à droite. Pas de LFI. Aucune Kali.
Presto, j’ai lorgné la grille. Deux, quatre, six et deux qui font huit.
Ouf… Mauvais rêve… Tout va bien…
À ce rythme, demain, on sera pas loin d’approcher les vingt.