Droit dans ses bottes enfilées à l'envers
Les « milieux bien informés », toujours friands de « récits vécus » et si hospitaliers aux « vents favorables » annonciateurs de révélations fracassantes, ont rapporté que le « testament politique » de ce cacique, que ce discours confirmant son retrait aurait fait plusieurs fois l’objet de modifications au cours de sa rédaction, pour finalement n’être pas lu devant l’assemblée à laquelle il était destiné.
Comment faut-il interpréter cette dérobade et ces hésitations sur le langage à tenir, dans un exercice normalement si consensuel et inoffensif ? Même les journalistes les mieux introduits n’ont pas cherché à se procurer la teneur des discussions ni à savoir pour quels motifs les dissensions se sont avérées insurmontables, se contentant de se demander quelle tendance plutôt qu’une autre sortait affaiblie de la « séquence ». C’était pourtant l’occasion d’une sorte de bilan complet – que néanmoins on peut faire à leur place – ainsi d’ailleurs qu’à celle de l’intéressé.
On peut évidemment appréhender la carrière politique de M. sous l’angle d’un parcours bien balisé et parfaitement classique. Ses études de droit, son entrée dans des cabinets ministériels, puis la montée en puissance : député régional, ministre, président d’assemblée. Mais on peut aussi suivre l’autre piste de celui qui fut, par excellence, un homme d’influence.
On a dit de cet homme politique que, avec une poignée d’autres, il « tenait » sa région, et qu’il y était incontournable depuis très longtemps, toujours consulté pour toutes sortes d’affaires, y compris celles ne relevant pas de sa sphère d’activités supposée. Sans aller jusqu’à évoquer une « mise en coupe réglée », il est certain que la très grande majorité des contrats publics passaient sous les fourches caudines de ce groupe. Certes, aucune preuve n’a jamais été apportée à l’assertion selon laquelle M. ait jamais été un homme d’argent : et il est exact qu’aucune trace d’enrichissement personnel n’est jamais remontée à la surface. Sans doute était-il davantage intéressé par le pouvoir et par l’influence que donne celui-ci. Mais il a eu l’immense défaut d’avoir accepté, et surtout d’avoir laissé faire les hommes d’argent qui gravitaient autour de lui : et d’avoir avalisé (ou de ne pas avoir fait barrage à) leurs pratiques, par intérêt partisan.
D’autre part, si on épluche ses déclarations successives sur les « affaires » qui, au fil des années, ont secoué la Fédération de son Parti dont il est l’un des représentants les plus patentés (au point de l’incarner presque), outre sa présence à tous les croisements et dans tous les parages, on notera que son système de défense n’a jamais varié. Mais, à la longue, sa tendance à dire : « Je ne le savais pas », ou bien « C’est un fantasme », ou « Je n’étais au courant de rien », ou encore : « Je n’y étais pas », jusqu’au récent : « Vous me l’apprenez » adressé à un journaliste qui l’interrogeait sur des dépenses somptuaires dont il a bénéficié en personne, cette propension à jouer les ignorants et à cultiver l’ambiguïté a été vraiment trop répétée pour qu’on les prenne encore pour de strictes dénégations.
Donc, oui, quels étaient les mots qui ont causé tant de difficultés à ceux qui se sont chargés de réviser ou d’équilibrer la composition de son texte d’adieu ? Ces mots qui fâchent, étaient-ils les siens ? Se préparait-il à lancer quelque déballage, lui qui se plaignait récemment de « la violence, voire de la brutalité de son (propre) milieu » ? Quels coups allait-il rendre, quels silences s’apprêtait-il à rompre ? Que devait-il prendre en charge, qu’il ait ainsi renâclé au dernier moment devant l’obstacle ?Au point de ne pouvoir même critiquer un « système » auquel il a appartenu si longtemps ?
Visiblement, on a préféré ne pas le savoir. Ou l’imaginer.