Au large
Aux confins du monde, là où précédemment hurlaient et s’entrechoquaient Arismapiens et Nephelibates, Rabelais nous fait don, dans Le Quart Livre, de lettres et de mots naissant de la glace et du chaos.
Là, nous sommes loin de la douce France! Place à l’aventure, au ballet des allégories, à d’étranges phénomènes, bref, à une rude épopée dans un ailleurs bien exotique. Loin donc de l’harmonie paisible d’une vallée fleurie de lys, d’un jardin de roses écloses, d’un golfe clair qui voit la mer danser…
Quelques écrivains et poètes français ont osé la truculence, la dérision! Mais pour plonger dans un imaginaire débridé, pour se voir confronter au surnaturel, au fantastique, au symbolisme, il nous faut prendre, dans un plat pays, sous un ciel bas et gris, un chemin de pluie. À rencontrer, en francophonie, des maîtres du Grand Nord.
Et pourtant, Le Clézio qualifie Rabelais de plus grand écrivain de la langue française. Une langue qui serait donc à large spectre: à nous ses richesses et sa magie! À nous, en francophonie, une fraternité des Lettres, celle de la découverte littéraire de tempéraments différents: que chaque plume dessine un joli pont sur l’onde et que nos pages dansent une ronde tout autour du monde…
Une complicité d’écriture qui aurait ses modèles: littérature française de tous pays, qui seraient vos maîtres ès lettres?
Des fauteuils de l’Académie française nous interpellent des habits de couleurs vert-or-noir, loin du bleu-blanc-rouge. Et là veillent des porteurs d’épée dont le nom ne remonte pas aux Croisades:
Cheng, Makine, Hoffmann, de Broglie, Serra, Orsenna, Vargas Llosa, Rinaldi, Finkielkraut, Rosenberg, Fernandez, Maalouf, Edwards, Zink.
Sont-ils tous enfants de la Gaule? Vercingétorix serait-il descendu de son bouclier pour transmettre gloire et fierté nationale à un Cheng ou à un Maalouf?
Sont-ils enfants de la Lorraine? Jeanne d’Arc aurait-elle renoncé à son pucelage pour accoucher d’un Makine ou d’un Edwards?
Ainsi, de Rabelais à nos jours, un vaste et séduisant Opéra des Lettres françaises où, certes, la partition respecte une langue commune, mais où la chorégraphie, les décors et les acteurs nous enchantent et nous enrichissent d’une multitude de cultures. Aux couleurs et accents de sept continents.
L’espace est donc vaste: éditeurs, affrétez des caravelles! Lecteurs, montez à bord des Santa Maria, naviguez, prenez le large. N’écoutez pas la vigie crier Terre! Terre! Car l’accostage, un sol foulé par des bottes n’est qu’illusion de possession: conquête ou colonisation, quelle est ta victoire?
Francophonie littéraire, sois Voyage, promesse de belles croisières!
Bon vent à nous.