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La loi phallique est dure
Hiver 2023
Éditos
Christophe BERTI
Une vigilance de chaque instant
Deux Mollahs sont assis à flanc de montagne.
— C’est dingue comme tout a changé en 20 ans, lance le premier.
— Oui, sauf l’Afghanistan, répond l’autre.
Cette caricature, parue à l’automne dans un journal italien, résume malheureusement de façon pertinente cette espèce de retour au Moyen-Âge de l’Afghanistan après l’occupation occidentale, qui fait du pays un symbole bien négatif en matière de respect des droits humains en général et, donc, des différentes minorités. Avec cet énormité supplémentaire de voir évoquer les droits des femmes comme ceux d’une minorité.
Vincent ENGEL
La loi phallique est dure
How many times… Dans sa célébrissime chanson, Bob Dylan oppose deux temps : celui, quasi éternel et non mesurable de la nature, le temps nécessaire pour qu’une montagne soit dissoute dans la mer ; et l'autre, fugace et microscopique, d’une vie humaine. Et dans cette vie clin d’œil, le temps potentiellement infini pour ouvrir les yeux sur les horreurs que les humains commettent.
Nouvelles
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Dans la salle d’embarquement de la classe affaires, personne ne l’avait remarquée. Sans doute était-elle arrivée avant les autres, en avance, peut-être en transit. Elle s’était installée dos aux autres voyageurs sur les quelques sièges qui font face aux pistes de l’aéroport. Les hommes d’affaires avaient le nez plongé dans leurs portables. Le vol devait les conduire à une réunion au 22e étage d’une tour en verre, ou à une conférence dans un palais des congrès ; chez un avocat spécialisé en fusions et acquisitions ou dans une salle de marché ou ailleurs, il y a toujours un intrus qui traine quelque part et qui fait semblant de ressembler aux autres. À l’appel de la classe affaires, ces hommes qui se ressemblent s’étaient levés comme un seul homme, une armée disciplinée, et s’étaient mis en rang pour présenter à l’hôtesse leur carte d’embarquement. À eux l’avant de l’appareil et les sièges larges et confortables, à eux la coupe de champagne et le toast au saumon. À eux le pouvoir de les refuser.
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Dans l’aube froide et brumeuse, il avançait dans une immense étendue déserte sans presque toucher le sol. Cette sensation de légèreté était plutôt agréable. Après un moment, les contours d’un long bâtiment sombre se dessinaient au loin. Mais il n’apercevait pas encore les bétaillères ni n’entendait les meuglements et les glapissements, les chocs des sabots. Les images suivantes étaient brouillées. Masses mouvantes qui descendaient les unes après les autres, démarches hésitantes, chutes sur les ponts glissants des camions… Puis le rêve le conduisait derrière les murs, dans la pénombre bleutée. De la tuerie, il n’aurait de visions qu’après. À l’aube, il sentirait la main de Lucia sur son front : « Encore un cauchemar ? »
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Système de Saturne. Titan. Pesanteur équivalente à celle sur Terre.
Une base de supervision logistique au sol, moins cent-soixante-dix-neuf degrés tout autour.
— J’ai un, vingt-et-un puis trois. Et toi ? demande le technicien.
— J’ai un, vingt-et-un et douze, répond la femme chaudement vêtue dans sa cabine étroite.
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Tout a trouvé un sens, inopinément. Aux médias qui m’interrogent, avides, je ne dis rien de tel, cela ne peut se dire, ni vraiment se concevoir. À moins, bien sûr, de parler d’un plan divin. Si Dieu tout-puissant est impliqué, ça va toujours, surtout ici, aux États-Unis. Bien que ce dieu de l’inévitabilité, je l’aie aussi vu à l’œuvre en Afghanistan et en Irak. Bien pratique, il prend peu de place dans les bagages et sert abondamment. Si je dis que Dieu m’a guidé ce 19 novembre 2022, les journalistes ânonneront tous un Hallelujah de circonstance. Sauf bien sûr ceux qui pensent que Dieu était du côté du tueur.
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L’eau est froide. Mes muscles se contractent, mes poils s’hérissent. Le frisson est irrépressible, le souffle entravé, mais je reste intransigeant et ma main ferme. Le pommeau de douche est réglé à haute pression, le jet est dur. Ventre, dos, nuque, tête, tout y passe. Ma peau picote. Son rougissement m’agace. Qu’elle reste blanche. « Blanche comme le lait », disait Maman, satisfaite. Et en été : « Blanc, c’est beau, alors protège ta peau. » Le soleil me rougissait quand même, les filles riaient. « Tête de tomate ! » Honte et colère ajoutaient une couche de rouge aux joues.
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Mon histoire, on te l’avait cachée, soigneusement. Alors que tout le quartier en bruissait depuis plusieurs années, bientôt une dizaine, avec chacun sa version plus ou moins, réinventée, dulcifiée, enrichie. Le bruit avait fini par s’estomper au fil du temps, ou du moins, par devenir une anecdote qu’on racontait aux nouveaux arrivants comme pour les initier aux mystères de ce vieux village que la ville de Bamako, dans sa boulimie insatiable, avait annexé, avec ses champs de culture, tous ses bois sacrés, même les plus sacrés.
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Une maison isolée. Où se trouve-t-elle ? Sûrement dans les environs de Marseille, quelque part au milieu de la campagne. Maria reconnaît bien l’atmosphère de sa région. Elle y est née. Tout lui est familier, ses parfums de garrigue et de terre sèche, ses sons, le chant des cigales, le souffle du Mistral qui amène l’air froid des Alpes et qui gifle les joues. Maria se souvient. Elle a repris connaissance. C’est la douleur qui l’a réveillée. Une lourde chaîne coule le long du mur, enserre ses poignées. Elle ne peut pas bouger. Son corps ne crie plus que la souffrance. Il est souffrance. Cette souffrance, elle le sait, elle le veut, n’appartient qu’à son corps. Il faut qu’il en soit ainsi.
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Pour s’octroyer le droit de cuissage, il n’est pas nécessaire d’en connaître le nom ni de croire en son existence (pour les historiens, il s’agirait en fait d’une fabulation de l’époque des Lumières, destinée à discréditer les détenteurs du pouvoir dans l’Ancien Régime). Parions d’ailleurs qu’aux yeux de Luc Ness cette prérogative relève de l’ordre naturel, tout au plus de la privauté (intrusion, incursion, agression : mais non, voyons), si bien qu’il ne s’est jamais dit « Tel est mon droit » en entrant dans un soutien-gorge, une petite culotte ou plus loin encore, ni n’a pensé commettre quelque acte illicite que ce soit en le faisant. En matière de rapports sexuels, la nuance est parfois ténue entre ce qui est admissible et ce qui est répréhensible. Selon lui, il s’agit tout bonnement d’une équation réciproque : il apprécie les femmes et les femmes l’apprécient. Il n’y a pas à chercher plus loin.
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Tous les matins, depuis quelques jours, faut que je voie cette pub : un mec vachement bien baraqué, torse nu et portant un calcif pourvu d’une poche spéciale pour la bite. À voir le remplissage, elle devait être du genre costaud, sans parler du reste à venir en cas d’érection. De quoi rêver.
J’ai bien vu et dit « la bite », il n’y a que ce mot-là qui convienne en une telle occurrence, n’en déplaise aux effarés du vocabulaire, fût – il argotique, aux adeptes des points de suspension et autres initiales pudiques sinon pudibondes..
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Les mains d’Enzo se posent légères, sur les épaules d’abord, et demeurent. Il y a dans ses paumes la chaleur qui a manqué. De chaque côté pareillement s’installe le poids du soin. Alors les pouces ; les pouces préhensiles d’homme, qui savent prendre pour faire – les pouces intransigeants retiennent la chair et tout ce qui, dedans, souffre ; viennent à la rencontre de l’autre poids, celui qui cisaille, pour lui faire la guerre, viennent pour, tendrement et sans merci, l’anéantir.
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C’était le plus beau pays du monde. Tout y était pour le mieux dans le meilleur des mondes. C’était encore mieux qu’à la cour du roi Pétaud. Tout le monde pouvait tout se permettre. Bon, mettons-nous d’accord : quand je dis tout le monde, il faut entendre tous ceux qui avaient même une petite parcelle de pouvoir.
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Van Vrij, légèrement incliné sur son fauteuil, regarde le plafond étoilé de spots scintillant en reflet de sa jubilation intérieure. Face aux 705 sièges inoccupés. Assis à la place du Président du Parlement Européen. Les pieds sur le bureau en forme de boomerang. Présage d’une histoire qui revient à son point de départ.
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C’était une ville de béton. Nous l’appellerons Metropolis.
Les rues ressemblaient à des canyons creusés entre les gratte-ciels, artères rectilignes se coupant à angle droit, charriant des véhicules blindés aux vitres teintées. Rares étaient les piétons à s’aventurer sur les trottoirs étroits et défoncés, héritage d’une autre époque.
Des patrouilles chargées de maintenir l’ordre arpentaient la ville, elles traquaient les mendiants blottis dans les encoignures ou les pillards briseurs de vitrines et réprimaient sans pitié tout début de manifestation.
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J’étais chargé de suivre le chantier de construction du nouveau grand parking souterrain du centre-ville. Le quartier de la gare était éventré comme s’il avait subi un bombardement massif pendant des semaines. Il ne restait rien de la place d’autrefois –, pavés, arbres, bancs publics, fontaines, tout avait disparu.
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Il s’allongea et s’endormit comme une masse. Un tigre qui passait par là entama la conversation avec l’homme assoupi :
— Tes rêves disent que tu te sens seul, soupira l’animal. Et me voilà !
— C’est d’la pipe.
— Comme tu veux.
— Je n’arrive pas à croire que j’ai cette conversation avec un tigre. ? Tu n’existes même pas.
— Eh l’élu du peuple, c’est ton rêve, pas le mien.
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« Dolly, Bill, Candy ! »
Depuis des heures, Céleste parcourait la forêt, répétant inlassablement son appel.
Ce matin, dès qu’il avait entendu les infos, il s’était précipité dehors.
« Bill ? »
Apparemment les directives avaient changé. Une fois de plus.
« Dolly, viens ma fille, viens ! »
Apparemment il avait le droit de les récupérer, apparemment c’était à nouveau permis.
« Candy, tu es là ? »
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Attendu que le nommé Hector Bidal a sciemment et de façon répétée manqué de respect à notre Illustrissime et Tout Puissant Maître de la Terre et des Cieux,
Attendu que les multiples rappels à l’ordre et à plus d’égards à l’encontre de la République Populaire Mondiale de La Toute Puissance Incarnée sont restés sans effets,
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Décret relatif aux dispositions exceptionnelles relatives à la crise économique, transposant partiellement la directive 2028/943/UE du 7 juin 2028 concernant la non-solvabilité des citoyens européens.
Le Parlement a adopté et nous, Gouvernement, sanctionnons ce qui suit:
Article 1er : Dans le cas d’une incapacité à payer une dette privée, le débiteur pourra être incarcéré après constat de son insolvabilité par un huissier de justice.
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C’est à partir du mois de mai qu’elles commencèrent à occuper la rue et à défiler. Cela faisait maintenant cinq ans que les militaires avaient pris le pouvoir et la répression n’en finissait plus de s’accentuer. Au début, il y avait bien eu quelques règlements de compte, quelques exécutions, quelques accidents survenus opportunément à des personnalités de l’opposition, mais c’était la règle habituelle en cas de changement de régime. Cependant, avec le temps, la junte s’était faite plus dure, afin de bien asseoir son pouvoir. Les syndicats avaient été interdits, les lois sociales restreintes, les contrats de travail supprimés.
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— Euh… les deux reportages en duplex ont été annulés pour cause de « grève émotionnelle ». Je ne sais pas ce qui se passe, mais vous rends l’antenne, Loïc Parmentier, pour quand même nous aider à passer l’An neuf, avec l’interview exclusive de Martha Vansteenkiste, doyenne des Belges, en ce 31 décembre 2022. Martha a son anniversaire aujourd’hui et elle est la plus âgée de notre Royaume.
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L’HOMME EST LE PRÉDATEUR DE LA FEMME
Telle était la phrase que la jeune femme avait écrite en majuscules sur sa pancarte. Un carton découpé à la bonne grandeur, de la craie, et le tour était joué : un slogan qui se démarquait des autres, tels que :
LA FEMME EST L’ÉGALE DE L’HOMME
L’HOMME DOIT RESPECTER LA FEMME
UN MÉNAGE HARMONIEUX EST BASÉ SUR L’ENTENTE
STOP AUX VIOLENCES FAITES AUX FEMMES
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Dans le rêve, j’entends en écho : bien que nous puissions gagner des salaires plus bas, être reléguées à des postes inférieurs, travailler trois fois plus, être jugées pour nos vêtements, subir des violences sexuelles, physiques, psychologiques, être tuées quotidiennement par nos partenaires, nous ne serons pas réduites au silence : nos vies comptent ! Il s’agit de douces voix qui murmurent, de lèvres rouges taguées sur les murs en briques, de cœurs papillons par milliers, de couleurs plus nombreuses que sur toutes les palettes d’artiste. La voix se presse, haletante, elle crie les mêmes mots : nos vies comptent !
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Titre du texte
Elle s’appelle Nawal, elle a vingt-deux ans. Lui s’appelle Lounis, il a vingt-quatre ans et mène une brillante carrière de journaliste. Nawal est à la fois journaliste et professeur d’anglais. Leur tort ? Être nés en Syrie, dans la paisible ville de Raqqa traversée par l’Euphrate. Leur vie ne ressemble pas à un conte de fées mais ils sont heureux à Raqqa jusqu’à ce que cette ville tranquille se voie tout à coup contrainte d’ouvrir les portes de l’enfer.
Images
Varia
Alain BERENBOOM
Le voleur enchanté, épisode 2
— Tu tires une drôle de tête, me fit remarquer Federico qui prenait le soleil sur le pas de la porte tandis que M. Blum s’éloignait en direction de la place des Bienfaiteurs.
Federico tenait le salon de coiffure (où travaillait Anne) juste en dessous de mes modestes bureaux.
— Un problème de digestion difficile, dis-je lâchement avant de regagner ma tanière.
Je pris une feuille de papier, traçai deux colonnes. Dans la première, l’auteur du vol. Beni. Prêt à restituer son larcin. Dans la seconde, la victime, Blum, qui veut récupérer ses biens. Présentée ainsi, l’enquête semblait bouclée avant même d’avoir démarré. Pourtant, je me sentais incapable de tracer une ligne joignant les deux personnages. Fallait-il renoncer à cette mission, comme je m’y étais engagé devant Anne ? Je fixai le chèque que venait de me remettre Blum avec un air désolé. Seul un élixir magique pouvait me sortir de ce dilemme.
Vladimir ISSAKOVITCH
Los Rodeos
Juanita, la mère de Cristobal était une très belle femme, de ces Canariennes dont le physique illustrerait la criminelle croyance hitlérienne en une « race » guanche, celle de grands blonds aux yeux bleus descendants de l’Atlantide que des théoriciens nazis avaient imaginée dans cet archipel du Maghreb.
Mona AZZAM
Les derniers soleils de Meursault
Aujourd’hui je vais mourir. Ou peut-être demain. Je ne sais pas. Quand on est condamné à mort, aujourd’hui, demain sont des temps creux. Absurdes.
Absurde est cette attente du couperet, de cette guillotine qui s’en viendra mettre fin au Temps.
À l’attente. Et à la vie.
Je ne compte plus les jours. J’ai cessé de les compter depuis la dernière visite de l’homme d’église qui n’a pas réussi à me pousser vers les voies de la rédemption.
Le pardon. Voilà ce qu’il s’est échiné à tenter de m’obtenir.
Anna Alexis MICHEL
Bruxelles-Miami
C’était un jour que rien n’aurait permis de distinguer d’un autre : blanchâtre, pas vraiment gris, laiteux comme l’étang triste qu’on aurait pu voir par la fenêtre si le brouillard s’était levé. Titi, étalée sur le couvre-lit aux papillons multicolores de la chambre transformée en studio, passait en revue les messages de ses nombreux suiveurs virtuels : quelques verges plus ou moins turgescentes, quelques torses bombés sur des bides qu’on pouvait présumer flasques et puis, parfois, dans ce dédale de foutre et de mauvais goût, quelques admiratrices boutonneuses et sincères dont les compliments maladroits témoignaient autant de leurs bons sentiments que de leur mauvaise orthographe.